Le Luxembourg face à l’avenir de la zone euro

Le Luxembourg assure la présidence du Conseil de l’Union européenne à un moment critique du développement du projet européen. La zone euro est en crise. Une réflexion est à conduire sur son évolution vers une véritable union économique et monétaire qui contribue à la croissance et à l’emploi. La mise en œuvre des engagements pris fin juin par la Grèce exige un suivi attentif.
 
Depuis 2010, la zone euro fait face à une crise qui ne veut pas finir. Les sommets de la dernière chance se répètent. Le défaut de paiement de la Grèce ressurgit à l’approche de chaque tombée de dette. La déflation menace, le chômage demeure à des niveaux insupportables, la croissance tarde à venir, l’impatience des populations croît. Comment en est-on arrivé là?
 
Les traités conservent à chaque Etat membre la responsabilité de définir sa politique économique, le niveau du solde de ses comptes publics et le mode de financement de ses dépenses. Cependant, sa liberté n’est pas totale. L’Etat ne peut user de son pouvoir régalien pour obtenir des institutions monétaires ou des établissements bancaires des facilités de financement. Il doit assumer seul ses dettes: un autre Etat ou l’Union européenne ne saurait répondre de ses engagements financiers. S’il veut s’endetter, l’Etat doit le faire aux conditions du marché. Il lui appartient de savoir susciter l’intérêt des investisseurs.
 
La vertu disciplinaire des marchés n’est pas jugée suffisante par les traités pour empêcher les Etats de développer des politiques budgétaires imprévoyantes. Elle se double donc d’un régime de coordination des politiques économiques et d’une discipline budgétaire.
 
La zone euro aurait dû agir comme un vecteur d’intégration politique et sociale de l’Europe. Seulement, les interdépendances nées du partage de l’euro ne s’accompagnent d’aucune intégration politique et juridique pendant les premières années. Cela aurait conduit à éroder encore plus la souveraineté des Etats. Et puis, la croissance des années 2005-2008 ne rend pas les réformes urgentes. La récession provoquée par la crise des subprimes de 2008-2009 constitue une opération vérité de ce point de vue. Elle révèle les fragilités structurelles ou financières de nombreuses économies. Les Etats en difficulté voient leur accès aux marchés se fermer. La gouvernance de la zone euro apparaît pour ce qu’elle est: un système prévu « pour marcher sur l’eau ».
 
Elle est donc profondément remodelée. Dans l’immédiat, des dispositifs inédits d’assistance financière sont institués, tels que le mécanisme européen de stabilité doté d’une capacité de prêt de 500 milliards d’euros. Le Fonds monétaire international est mobilisé, des prêts bilatéraux conclus entre les Etats membres. Au final, le montant maximal de l’aide au bénéfice des pays périphériques (Grèce, Chypre, Espagne, Irlande et Portugal) avoisine 500 milliards d’euros, dont 360 milliards ont été décaissés. En parallèle, la BCE lance plusieurs programmes d’achat d’actifs financiers sur les marchés, dont des titres de dette publique des Etats de la zone euro pour un montant de 185 milliards d’euros à ce jour.
 
En parallèle, une série de textes législatifs (six-pack en 2011 puis le two-pack en 2013) renforcent les règles de discipline budgétaire et étendent le principe de coordination aux politiques structurelles. Pour les pays sous assistance financière, des programmes négociés entre l’assisté et les créanciers publics définissent les réformes à opérer et le calendrier à respecter. La mise en œuvre des engagements permet le versement de tranches d’aide.
 
Les plans d’assistance politisent la dette, puisqu’ils mettent directement en rapport des autorités publiques, les unes devenant débitrices des autres. Et, dans un contexte budgétaire, économique et social dégradé, chaque prêteur entend être remboursé et chaque emprunteur produire les efforts d’ajustement les plus modiques.
 
L’Etat n’est pas une entreprise. Il ne peut être forcé à s’exécuter sous la contrainte physique: l’époque est révolue où le paiement des dettes dues par un pays à un autre se soldait au son des canonnières. Le remboursement de nouvelles dettes, la réalisation des réformes sont affaires de négociations. Les enjeux liés à l’avenir même de la zone euro interdisent l’échec des discussions; ils lient les Etats, créanciers et débiteurs, dans un rapport de dépendance réciproque dont aucun n’est satisfait. « If you owe your bank manager a thousand pounds, you are at his mercy. If you owe him a million pounds, he is at your mercy », soulignait ainsi Keynes. Plus fondamentalement, les montants en cause des aides, l’importance des réformes attendues exigent que le débat soit porté au sein des institutions parlementaires. Sauf à fouler au pied le principe démocratique, les parlements conservent un mot sur l’avenir qui se dessine pour leur pays au sein de l’Eurogroupe ou du Conseil européen. Ils sont les autorités budgétaires. La négociation de la gestion de la dette, l’évolution de la gouvernance économique de la zone euro passent nécessairement par eux. Quant à la mobilisation directe des citoyens, chaque Etat, qu’il soit créancier ou débiteur, est libre d’y recourir. Encore faut-il qu’il ne s’agisse pas d’une manœuvre dilatoire, sous peine d’affecter négativement les relations de confiance entre les Etats.
 
Dans ce contexte, la présidence luxembourgeoise du Conseil aura fort à faire. Il lui faudra mobiliser toute son expérience, sa capacité à élaborer des compromis « gagnant-gagnant » pour aider la zone euro à sortir de l’ornière. Le Luxembourg a porté le premier projet d’union économique et monétaire en 1970. Il a contribué de façon décisive à la conférence intergouvernementale sur l’union économique et monétaire en 1991. Il a conduit la première réforme du Pacte de stabilité et de croissance en 2005. Gageons qu’une fois encore, son engagement européen paiera.
 
Par Frédéric Allemand, Coordinateur des études européennes, CVCE

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