Les services aux clients, accélérateur de la transition FinTech

L’évolution du monde bancaire luxembourgeois est sans conteste en train de s’accélérer. Après les développements du secret bancaire, c’est au tour de l’innovation technologique de bousculer les habitudes du monde financier. Luc Maquil, Senior Manager et Advisory chez KPMG Luxembourg, nous explique dans cette interview quel est l’impact de la FinTech sur le pays.
 
Quel est l’enjeu FinTech de la Présidence du Conseil européen par le Luxembourg?
L’une des priorités de la Présidence sera le renforcement du marché numérique commun européen. A titre d’exemple, aujourd’hui, les 28 pays de l’Union Européenne ont 28 interprétations différentes au sujet de la protection des données: les règlements divergent en fonction des frontières. Cela crée des barrières artificielles au sein d’un marché qui est censé être ouvert.
Xavier Bettel a notamment exposé ce type de contrainte en tant que partie intégrante d’un problème plus large dénommé « geo-blocking » lors du Gala Golden-i début juin. L’exemple classique du géo-blocking est le roaming téléphonique. Alors que le marché physique est lui déjà commun, des frais d’itinérances sont engendrés par les frontières. Le roaming téléphonique n’est que la partie visible de l’iceberg et certainement l’exemple de geo-blocking le plus connu. L’utilisation des services médias streaming ou bien de type « cloud computing » en sont d’autres. En effet, de nombreux pays européens obligent le consommateur à utiliser des services exclusivement offerts par des fournisseurs agrées par les législations nationales respectives. Ceci crée des freins artificiels et vaut surtout pour l’industrie des médias. Le géo-blocking est contradictoire aux idées du marché commun européen, le Premier Ministre a souligné l’intention claire du Luxembourg d’aller à son encontre.
Prenez l’exemple d’une société spécialisée sur l’analyse des données comportementales des acheteurs. Si elle souhaite s’implanter en  Europe, elle doit s’adapter à trop de législations différentes. Par conséquent, les pays européens réglementés de manière flexible, tel que l’Irlande, dans lesquels les législations protègent moins les individus, sont ceux où ces firmes s’installent actuellement. Cette complexité est décourageante pour les compagnies, et met l’Europe en position de retrait face à d’autres marchés numériques plus larges tels que celui des Etats Unis..
 
 
La solution du marché commun pour lutter contre le geo-blocking ne risque-t-elle pas de provoquer un nivellement par le bas?
Le risque de perte à court-terme dû à l’uniformisation existe toujours. Mais les gains sont énormes en compensation. Avec les 28 règles, vous avez 28 possibilités d’interprétation différentes. Une harmonisation permettra au moins de réduire la complexité et le nombre de failles, ainsi que d’augmenter la transparence par rapport à l’utilisateur final.
Il ne faut pas se voiler la face: un marché numérique commun aura un impact sur d’innombrables domaines, et particulièrement dans le secteur bancaire au Grand-Duché, au sein duquel la transformation numérique est en train de s’intensifier. Un marché commun numérique permettrait par exemple à une banque luxembourgeoise de plus facilement bénéficier de services électroniques offerts par des prestataires étrangers et profiter ainsi d’innovation à des prix intéressants.
 
À propos de notre milieu bancaire, l’Europe conçoit-t-elle un outil pour briser cette limite d’accessibilité aux informations?
Dans le domaine des payements, une réglementation européenne se prépare actuellement, la directive PSD2. Elle demandera aux banques d’ouvrir davantage leur système d’informations à des services tiers pour des données très spécifiques. Sur demande du client, ces derniers pourront accéder par exemple à des données de comptes bancaires, en vue d’offrir des services de valeur ajoutée, tels que des conseils financiers. PSD2 animera le marché des banques européennes en attirant un écosystème de nouveaux acteurs qui offriront de nouveaux services électroniques à l’utilisateur final. De même la Commission européenne est en train d’unifier les réglementations sur la protection des données dans les pays membres. Le  but est de clôturer les travaux sur la loi GDPR (Global Data Protection Regulation) fin d’année 2015.
 
 
Pouvez-vous me donner votre définition de la FinTech ?
La FinTech est une pratique multidisciplinaire qui se situe comme son nom l’indique au carrefour de la technique et la finance. En résumé c’est l’application de la technologie au monde financier. Actuellement, il existe deux types de FinTech.
La FinTech disruptive est un modèle de nouvelles compagnies en ligne, en compétition avec les services bancaires traditionnels. Sa caractéristique est de directement se positionner sur les besoins des clients. Ces compagnies fournissent des services électroniques bancaires réinventés et beaucoup plus adaptés à chacun, à l’endroit où il se trouve, à des tarifs avantageux. Cette pratique, très ciblée clientèle, est accélérée par l’utilisation devenu « normale » d’Internet et des Smartphones ou Tablettes. Ce type de service se passe d’agence, et comporte des entreprises telles que des banques entièrement en ligne, des sites de Crowd Funding ou encore des structures de Peer 2 Peer Lending. Elles permettent l’accès à des services de payements, de financement ou de crédits « en direct » aux individus connectés, sans passer par une institution bancaire qui joue le rôle d’un intermédiaire. Et tout ceci à des coûts très bas.
La FinTech traditionnelle est pratiquée par les sociétés de services offrant des services informatiques tels que les Data Centers, la connectivité, les services Clouds, les services de reporting financiers, aux acteurs traditionnels tels que les banques et assurances. Ces sociétés jouent un rôle important dans la transformation numérique des acteurs traditionnels. Elles sont par ailleurs souvent alimentées avec de nouvelles idées en provenance du FinTech disruptif.
 
Les banques ont elles peur du FinTech disruptif?
Il est difficile de prévoir si le nouveau modèle disruptif va complètement bouleverser le paradigme bancaire et remplacer le modèle classique, ou bien si les banques traditionnelles seront capables de se moderniser pour concurrencer ce récent concept. Elles ont peur évidemment, car c’est un enjeu de taille. Nous observons actuellement une forte volonté d’entamer des changements de la part des banques et de sociétés d’assurances. Elles cherchent de l’aide pour leur transition vers le digital, afin d’améliorer leur modèle pour s’adapter aux besoins des clients. En effet, l’élément clé de la FinTech, c’est vraiment le service clientèle. La nouvelle génération, née dans les années 90 et à l’aise avec l’Internet, n’a plus les mêmes comportements et repères que ses prédécesseurs. Cela engendre une attitude très naturelle face aux opérations en ligne, qui crée de nouveaux défis pour le secteur financier.
 
 
Cette transition FinTech se fera-t-elle plus vite au Luxembourg que dans d’autres pays européens ?
Nous sommes en présence d’avantage et de désavantage. Avantage car nous avons déjà une place financière importante, fortement reconnue à une échelle mondiale. Nous sommes développés, surtout au niveau des fonds d’investissement. Nous avons le potentiel pour nous positionner dans ce domaine, et de capitaliser sur nos expériences.
Mais c’est également un challenge que nous devons relever. L’enjeu premier est d’attirer les talents qui puissent apporter l’innovation suffisante. Comme repère, je vous citerai le DESI, le Digital Economy and Society Index de l’Union européenne. Les 28 pays ont été comparés sur leur capacité numérique. Résultat: d’un côté, 60% des entreprises au Grand-Duché disent avoir du mal à trouver des experts en ICT, et de l’autre nous sommes seulement à la 28e place sur l’échelle du nombre de personnes ayant un diplôme en sciences, technologies, ingénierie ou mathématiques. Seulement 2,8 personnes sur 1.000 répondent à ce type de qualification, alors que la moyenne européenne est de 17. La différence est énorme. En conclusion, nous ne produisons pas les ressources, les talents, dont notre marché a besoin. Attention cependant, n’oublions pas que notre Université est plutôt récente, c’est donc un enjeu pour elle.
Le gouvernement incitera-t-il les jeunes à se diriger vers ces branches?
J’en suis certain. Il y a des programmes dans ce but. Entre autres, l’un des piliers du Digital Lëtzebuerg vise à moderniser le système éducatif pour amener les jeunes vers les technologies de l’information et de la communication. Par le biais de workshops de programmation entre autres, il les encourage à se tourner vers ces métiers. Nous apprenons déjà trois ou quatre langues dans nos écoles, pourquoi pas une langue de programmation en plus?
 
 
 

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