«Préparer la transition numérique»
Les grandes mesures destinées à lutter contre l’évasion fiscale auront un impact sur l’activité des fiduciaires, explique Olivier Dorier, le partner de la fiduciaire MAS Luxembourg. Dans ce contexte, les initiatives gouvernementales en matière d’économie numérique pourraient apporter au secteur de nouveaux axes de développement.
Le secteur financier est en pleine mutation. À quels changements majeurs les fiduciaires se trouvent-elles confrontées?
Depuis la crise de 2008, le secteur financier a connu une stagnation d’activité et de nouvelles règlementations imposées par les différentes puissances économiques mondiales. Cette crise économique a influencé les budgets des États, qui ont vu leurs dettes croître. Ces derniers se sont alors attaqués aux différents acteurs économiques, afin de récupérer un manque à gagner au niveau fiscal.
Dans ce contexte, la première grande mesure a été imposée par les États-Unis en matière d’échange d’information par le biais de FATCA, en mars 2010.
En juin 2013, l’OCDE a publié le BEPS (Base Erosion and Profit Shifting), un plan d’action entériné par le G20 qui se décline en plusieurs chapitres. Son objectif est que les profits soient taxés là où la valeur ajoutée est créé, en évitant l’évasion fiscale, les pratiques «fiscalement dommageables», les abus de traités bilatéraux, ou encore les problématiques liées à l’utilisation d’instruments de dettes hybrides et de déductions fiscales.
Parallèlement, le Luxembourg a, le 1er janvier 2015, renoncé aux retenues à la source liées à la directive européenne sur l’épargne (EUSD), au profit du Common Reporting Standard (CRS), une initiative de l’OCDE qui nécessite un échange automatique d’informations très conséquent de la part des banques, des fonds d’investissements, des compagnies d’assurance et des véhicules non régulés. Les obligations en termes de transparence sont donc accrues.
Tous ces facteurs auront un impact sur la pratique fiscale liée aux traités de non double imposition conclus avec un grand nombre de pays. La démarche de l’OCDE vise à remplacer les avantages de ces traités par la mise en place d’instruments ‘multilatéraux’.
Les changements et défis auxquels le secteur financier devra répondre seront de plus en plus précis, étant donné que l’OCDE veut appliquer son plan d’action d’ici les deux prochaines années.
Quels sont donc les impacts majeurs de ce nouveau contexte pour les fiduciaires?
L’impact de ces changements sur le métier des fiduciaires risque donc d’être néfaste dans la mesure où la fiscalité et son application actuelle jouent un rôle essentiel dans les services professionnels délivrés par les fiduciaires.
Aussi, les différents acteurs de la Place réfléchissent déjà aux réponses que le pays devra apporter par rapport à BEPS, compte tenu des éventuelles modifications règlementaires, ainsi qu’en termes de stratégie de diversification économique.
Dans ce contexte, l’économie numérique et sa transversalité sur les différents secteurs économiques représentent une manne pour le Grand-Duché, car il existe déjà des acquis importants.
Au niveau de l’OCDE, l’économie numérique constitue le plan d’action numéro un, tant il est question de comprendre où, et dans quelles mesures, les profits doivent être taxés quand ils émergent d’une chaîne de prestataires multiples à cheval sur plusieurs pays.
Il est encore trop tôt pour dire comment les fiduciaires et notre métier seront révolutionnés ; néanmoins, il reste certain que les acteurs importants continuent à croire au Luxembourg et développent des structures qui seront beaucoup plus contributives au niveau local, avec un plus fort volume d’affaires sous gestion.
Quels sont désormais leurs défis actuels?
Le défi actuel des fiduciaires est double: il est d’une part de répondre aux nouvelles obligations de transparence et d’échange d’informations, et de s’adapter aux nouvelles règlementations ainsi qu’à un volume d’informations à traiter qui ne cesse de s’accroitre et représente un coût substantiel pour les fiduciaires. D’autre part, il s’agit pour elles de se préparer à une transition vers une société de plus en plus numérique, en établissant une stratégie et une méthodologie qui visent à cerner les nouveaux services, métiers, axes de développement et compétences.
Dans ce contexte, l’initiative Digital Lëtzebuerg peut-elle leur apporter des solutions et des alternatives?
La question de l’économie numérique est très pertinente pour identifier de nouveaux axes de développement de nos métiers dans le secteur financier. L’initiative du Gouvernement, telle que présentée lors de la conférence de presse du 20 octobre 2014, illustre bien les différentes alternatives. En effet la mise en place d’une stratégie numérique globale et cohérente peut aider à identifier de nouvelles niches de compétences (e-skills) et des nouveaux marchés tels ceux des technologies de la santé, des industries créatives ou encore liés à l’innovation dans le secteur financier, le Big Data, le cloud computing, les devises virtuelles…
Le potentiel d’une telle initiative pour le Luxembourg reposerait sur le principe de considérer les données comme une nouvelle ressource, et de positionner le pays comme un centre d’excellence en matière de protection et de sécurisation des données, basées sur la confidentialité et sur la confiance. Le Luxembourg a une carte à jouer pour se promouvoir comme un ‘Information Trust Center’ (ICT).
Concrètement, quelles pourraient être les opportunités et les retombées de cette stratégie gouvernementale pour les activités et les métiers de MAS Luxembourg ?
Si nous prenons en considération le développement des technologies innovantes ces dernières années, plusieurs thèmes qui émergent pour les fiduciaires, tels que le commerce électronique, les contenus numériques, le cloud computing, l’archivage électronique, les plateformes virtuelles de musique ou de vidéo, l’hébergement de sites Web, l’environnement des serveurs mutualisés, les infrastructures de télécommunication ou encore les paiements électroniques… Ces éléments pris dans leur ensemble peuvent apporter des retombées concrètes pour les fiduciaires, à travers une demande d’assistance administrative et comptable par exemple.
Le Luxembourg a réalisé des investissements qui lui permettent d’offrir une des meilleures infrastructures en Europe en matière de technologie. Il accueille déjà des entreprises dans le domaine des média, de l’ICT, des paiements électroniques. Avec le développement de l’économie numérique, nous pourrions voir arriver de nouvelles multinationales sachant qu’AMAZON, PAYPAL, eBAY, ITUNES ou encore SKYPE sont déjà présents chez nous et y maintiennent des effectifs conséquents.
À quoi ressemblera la fiduciaire du futur ?
Nous aimerions bien le savoir nous-même… Cela dit une fiduciaire purement virtuelle est peu concevable, car dans notre métier le contact humain prédomine avant tout. Grâce aux nouvelles technologies et à notre savoir-faire, nous allons dans le futur continuer à améliorer l’efficacité de nos services. Enfin, il est important de sensibiliser les étudiants par rapport à des demandes en Ressources Humaines qui seront de plus en plus exigeantes et requerront des cursus aussi divers que la finance ou les nouvelles technologies. La maîtrise des principales langues étrangères au Luxembourg restera notre force, dans un contexte de compétition mondiale de plus en plus féroce.