«Les tâches de l’AED sont devenues toujours plus nombreuses et complexes»

Si la vocation première de l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines consistait à l’origine à percevoir un droit sur les mutations, à se voir confier la régie et l’administration des biens de l’Etat ou encore la gestion des conservations des hypothèques, les missions de cette dernière ont considérablement évolué depuis, surtout depuis l’introduction de la taxe sur la valeur ajoutée en 1970. Interview de Romain Heinen, directeur de l’AED.
 
M. Heinen, pouvez-vous nous faire part des missions qui incombent à l’Administration de l’Enregistrement et des Domaines ? Comment ont-elles évolué dans le temps ?
 
La mission première de l’Administration de l’Enregistrement à sa création en 1795, sous l’occupation française, était de nature fiscale et civile. En effet, celle-ci avait pour vocation à percevoir un droit proportionnel sur les mutations de biens et à donner date certaine aux écrits sous seing privé. Parallèlement, elle s’était vue confier la régie et l’administration des biens de l’Etat, d’une part, et la gestion des conservations des hypothèques, d’autre part.
L’introduction en 1970 de la taxe sur la valeur ajoutée, au titre de ressource propre communautaire, changea radicalement les structures et les tâches de l’AED, dès lors que l’envol budgétaire de cette taxe fut fulgurant.
Si l’on ajoute à cette énumération la perception de la taxe d’abonnement (sur les fonds d’investissement) et de l’impôt sur les assurances, ainsi que des fonctions récentes en relation avec la lutte anti-blanchiment, il en résulte que les tâches de l’AED sont devenues toujours plus nombreuses et complexes, ce qui constitue à la fois le défi le plus important au niveau de la gestion de l’administration et un véritable « challenge » personnel pour chacun des agents.
 
A l’heure de la simplification administrative et de l’avènement de l’administration en ligne, quelles sont les démarches que vous avez mises en place pour suivre cette évolution ?
 
Au vu de leur grand nombre, il est impossible d’esquisser dans ce contexte toutes les initiatives prises ET réalisées. Le plus important consiste à souligner que, depuis des années, l’AED poursuit avec succès une stratégie du « give and take ». A chaque fois que nous demandons un effort particulier des assujettis dans la lutte antifraude, le pouvoir législatif ou réglementaire leur accorde des allégements au niveau de la charge administrative. A titre d’exemple peut-on citer l’introduction du principe du dépôt électronique obligatoire des déclarations de TVA par les assujettis situés au-delà d’un certain chiffre d’affaires, avec, comme contrepartie, le relèvement de la franchise pour les PME, l’extension du régime optionnel de la comptabilisation d’après les recettes, la consultation de la situation de compte en ligne et, à partir de janvier, l’octroi d’intérêts créditeurs en cas de remboursements tardifs par l’administration.
 
Une des missions de l’AED consiste à «garantir, dans l’intérêt de la collectivité publique la juste et exacte perception des impôts indirects». Peut-on considérer qu’il y a beaucoup de fraude en la matière au Grand-Duché ou du moins une augmentation de la fraude ? Comment le Grand-Duché se situe-t-il par rapport à ses partenaires européens ?
 
L’essence de la fraude est celle d’être inconnue, même s’il existe des essais de quantification au niveau de la comptabilité nationale. D’autre part, je préfère parler du concept plus vaste « d’inobservation de la loi», étant donné que la notion de la « fraude » est directement liée au droit pénal. La sous-évaluation du chiffre d’affaires et la surévaluation des charges donnant droit à déduction, font partie des pratiques traditionnelles. Ces phénomènes ont néanmoins trouvé une dimension toute autre après l’instauration du Marché Intérieur en 1993, caractérisé par la circulation transfrontalière de marchandises dégrevées de taxe. Concernant les « fraudes carrousels » entre pays, le Luxembourg ne constitue presque jamais la victime financière des mécanismes criminels mis en place, au vu de l’étroitesse de son marché, mais sert souvent d’étape intermédiaire et de dissimulation. C’est pourquoi nous attachons une importance particulière à la coopération internationale pour combattre ce fléau. Un autre aspect qui nous fait beaucoup de mal consiste dans l’argent déjà payé par le consommateur final et perdu dans les faillites. De manière générale, une étude récente commandée par la Commission européenne accorde une appréciation positive au pays dans la maîtrise du « VAT Gap » (TVA due mais non encaissée), en le classant troisième parmi les Etats membres.
 
La TVA au Luxembourg passe en janvier de 15% à 17%. Quel est l’impact de cette mesure sur le travail de l’administration ?
 
L’impact en 2014 a été énorme au niveau de la préparation de l’arsenal législatif et réglementaire, de l’émission de circulaires interprétatives et de l’adaptation des systèmes informatiques. Combiné à la « gestion quotidienne », un tel effort nous porte jusqu’aux limites de notre capacité d’action.
 
Si certains saluent l’initiative du gouvernement, d’autres craignent en revanche pour la compétitivité du pays. Quelle est votre position purement personnelle sur la question ?
 
En tant que fonctionnaire de l’Etat je m’abstiens bien sûr de commentaires politiques. Ce que je puis dire est que la taxe sur la valeur ajoutée est un impôt sur la consommation et non sur la production, et que force est de constater que la dimension des taux réduits de TVA – qui prévalait au niveau des prestations de service – s’est estompée au cours des dernières années. Dès lors, l’impact de l’augmentation du taux marginal de 15 à 17% sera moindre que si cette augmentation avait été décidée plus tôt. Le changement du régime communautaire de la taxation des services électroniques aura d’ailleurs une incidence très importante sur les finances publiques luxembourgeoises qui connaîtront une perte sèche annuelle d’un milliard d’euros.
Par ailleurs, il est à noter que l’augmentation de la fiscalité indirecte est une tendance en Europe, l’objectif recherché par-là étant de baisser la taxation du travail, ceci afin de lutter contre le chômage endémique.
Pour finir, nous aurons fort à faire avec les questions de fiscalité des entreprises, puisque le Luxembourg fait l’objet d’une surveillance étroite de la part de ses voisins sur cette question. Aussi, la marge de manœuvre est étroite pour les autorités. Soulignons toutefois que ce taux demeure toujours à l’heure actuelle le taux de TVA le plus bas dans l’UE.
 
A l’heure où les autorités européennes planchent sur une harmonisation de la fiscalité au sein de l’UE, doit-on selon vous également s’attendre à ce que la fiscalité indirecte fasse l’objet d’une uniformisation ?
 
Comme je l’ai souligné, la mise en place du Marché Intérieur présupposait une harmonisation très forte de la fiscalité indirecte. Par ailleurs, contrairement aux impôts directs, ce mandat est inséré expressément dans le Traité sur le fonctionnement de l’UE. Toutefois faut-il regretter que le Conseil des ministres n’arrive presque plus à avancer sur les dossiers présentés par la Commission européenne, de sorte que ce sont de plus en plus les juges de la Cour de Justice de l’UE qui sont à la base des rapprochements actuels des législations et pratiques en matière de TVA.  PhR
 

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