Une révolution en route
Le marché du neuf de l’automobile au Luxembourg connaît une situation unique en Europe, le Grand-Duché étant le seul pays sur le continent à connaître une croissance constante des immatriculations. Pourtant, comme nous l’explique Ed Goedert, président de l’ADAL, il est fort à parier que le basculement vers une nouvelle ère dans le domaine de la mobilité vienne bousculer la donne. Interview.
Monsieur Goedert, quelques mots sur l’ADAL ? Quelles sont les principales problématiques rencontrées par l’ASBL ?
L’Association des Distributeurs Automobiles Luxembourgeois, qui représente et défend les intérêts des entreprises de la distribution et du service après-vente automobile au Grand-Duché, rencontre plusieurs problématiques.
La première d’entre elle a trait à sa subordination aux constructeurs automobiles, lesquels peuvent avoir des exigences très élevées à l’égard des concessionnaires en termes de cahiers des charges. Il n’est pas rare pour un concessionnaire de devoir investir jusqu’à 500.000 euros pour qu’une concession réponde aux attentes des constructeurs.
Soulignons que les nouvelles directives européennes ont renforcé les «pouvoirs» des constructeurs. En effet, ceux-ci n’ont plus de motif à invoquer pour la résiliation d’un contrat avec une concession, n’ont plus à passer par une procédure d’arbitrage en cas de différend et se sont vu octroyer une baisse considérable de la durée du préavis qu’ils doivent accorder aux concessionnaires, à savoir six mois au lieu de deux ans auparavant. Par ailleurs, un concessionnaire ne peut plus vendre sa concession à un autre concessionnaire sans l’accord explicite du constructeur.
Comment les concessionnaires luxembourgeois vivent-ils cette situation ?
Premièrement, le poids du lobby des constructeurs automobiles au Luxembourg n’a rien à voir avec celui exercé en France ou en Allemagne. Deuxièmement, nous avons réussi à obtenir des dérogations auprès du gouvernement, donc nous nous en sortons plutôt bien.
Comment se porte le marché du neuf de l’automobile au Luxembourg ces dernières années ?
Relativement bien par rapport à nos voisins européens dont le marché a connu des hauts et des bas ces dernières années. Même si les chiffres sont à relativiser de par l’important solde migratoire positif que connaît le Luxembourg ainsi que par le nombre important de voitures de société appartenant aux non-résidents, force est de constater que nous connaissons une situation unique en Europe, c’est-à-dire un marché stable qui n’a que peu souffert de la crise.
Ceci étant, nous vivons une époque de transition dans le domaine de la mobilité, et il faut s’attendre à ce que les ventes de voiture baissent dans le futur. C’est là que réside le plus grand défi pour les constructeurs et les concessionnaires.
Pouvez-vous préciser ?
Nous sommes en passe de changer de paradigme. L’achat d’une voiture est de moins en moins plébiscité tandis que les solutions alternatives de mobilité telles que le multimodal, l’auto-partage, le « car pooling » trouvent de plus en plus d’adeptes, surtout chez les jeunes.
Pourtant, la voiture semble au Luxembourg comme en Allemagne être un marqueur social…
C’est de moins en moins vrai, avant tout chez les nouvelles générations, comme dit, qui ont des centres d’intérêts que vous ou moi n’avons pas connus, tels que les téléphones portables et autres gadgets high tech, par exemple.
En outre, le symbole de liberté que représentait l’acquisition du permis de conduire et d’une voiture pour les « baby boomers » – et dans une moindre mesure pour la génération X – a pris du plomb dans l’aile dans des pays comme les nôtres où les embouteillages deviennent la norme et dans lesquels l’offre en transports publics et les solutions de mobilité alternatives ne cessent de croître.
Doit-on conclure par-là que l’avenir est sombre pour votre métier ?
Il ne faut pas être alarmiste mais il faut regarder les choses en face. Ce qui est certain, c’est que la deuxième voiture au sein du ménage risque en partie de disparaître, ceci avant tout pour des raisons économiques, bien entendu.
A nous, concessionnaires, de nous adapter à cette donne, de revoir notre positionnement, en travaillant main dans la main avec les constructeurs, qui ont déjà anticipé le phénomène, ceci afin de proposer des solutions de mobilité, c’est-à-dire des services, plutôt que des voitures. Néanmoins, à ce stade de transition, il est encore difficile d’esquisser des modèles économiques viables.
L’écomobilité ou « mobilité durable » est un dossier de première importance pour les autorités luxembourgeoises, le Luxembourg affichant une empreinte carbone désastreuse et ses principaux axes routiers étant littéralement saturés aux heures de pointe. Selon vous, les moyens mis en œuvre sont-ils suffisamment ambitieux ? Quelles sont vos préconisations ?
Lorsque l’on se penche véritablement sur le phénomène, l’on prend toute l’ampleur de la situation ubuesque qui règne sur nos routes effectivement saturées, à savoir des rangées de voitures avec pour seul occupant le conducteur du véhicule. Ajoutez à cela des comportements de plus en plus incivilisés, et vous avez tous les ingrédients pour faire d’un trajet en voiture une véritable épreuve plutôt qu’un moment de plaisir.
Aussi, en remettant de l’ordre dans le système et en augmentant la part des solutions de mobilité collective et alternative à 25%, tel que le prévoit le SMOT, le nouveau schéma stratégique de mobilité transfrontalière France-Luxembourg, la situation ne pourra que s’améliorer. Et avec les 75% de mobilité individuelle restants, les concessionnaires conservent une part très importante du gâteau.
Pour revenir à la voiture individuelle, quelles sont les grandes tendances au Luxembourg ces dernières années ?
On note, d’une part, le grand retour du moteur à essence – avant tout sur les petites cylindrées- beaucoup moins gourmand en carburant que par le passé, d’autre part, l’avènement du downsizing tant au niveau de la cylindrée qu’au niveau de la taille du véhicule.
Par ailleurs, de nouveaux segments ont vu le jour et rencontrent un franc succès, à l’instar du SUV compact, par exemple. La voiture électrique, quant à elle, devrait également s’imposer petit à petit sur nos routes, même si les ventes au Luxembourg ne s’envoleront pas comme chez nos voisins, dans la mesure où le gouvernement luxembourgeois a lui mis un terme aux subventions pour ces véhicules dont le prix d’acquisition reste très élevé à l’heure actuelle.
PhR