La cheffe d’orchestre

Si on la connaît surtout comme cheffe d’entreprise, Michèle Detaille a eu une première vie avant de rejoindre le monde de l’entreprise. Licenciée en sciences politiques, elle a été bourgmestre, tout en étant députée au Parlement belge, conseillère du ministre de la Justice et vice-premier ministre, Jean Gol, et vice-présidente du Mouvement Réformateur.
 
La vocation politique de Michèle Detaille est née tôt: «Depuis toujours, je m’intéresse à la chose publique, d’abord parce qu’à la maison, la politique faisait partie des sujets de conversation récurrents, bien que mes parents n’aient jamais été directement engagés, mais aussi parce que j’avais comme amie d’enfance la fille du ministre des Travaux publics, député de Bastogne et ponte du parti libéral, Louis Olivier. Je passais beaucoup de temps chez eux, ils étaient ma seconde famille», raconte-t-elle. Après ses études secondaires, elle s’engage dans un cursus universitaire en sciences politiques, par intérêt pour la matière, mais aussi parce que ces études «ni extrêmement faciles ni très compliquées» peuvent être combinées avec d’autres activités dont, notamment, des cours du soir de journalisme. Pour son mémoire, elle choisit de plancher sur le parti qui correspond à sa sensibilité politique et sur lequel elle peut obtenir des informations de par ses liens avec la famille Olivier: le parti libéral, nommé aujourd’hui Mouvement Réformateur. Le président du parti tombe sur ce mémoire, le juge intéressant, et propose à Michèle Detaille de rejoindre le groupe, ce qu’elle accepte. C’est ainsi qu’à l’âge de vingt-cinq ans, elle est élue bourgmestre de son village, Vaux-sur-Sûre, renversant une majorité catholique au pouvoir depuis toujours. Elle occupera cette fonction pendant trois mandats, soit dix-huit ans.
 
Sa plus grande satisfaction est d’avoir maintenu des écoles dans six des quarante villages qui composent cette commune de 14.000 hectares et 25 kilomètres de long. «La possibilité de scolariser les enfants sur place et de leur offrir un enseignement de qualité, que nous nous sommes employés à développer, a été un élément déclencheur de la vitalité de la commune, qui compte aujourd’hui 5.300 habitants contre 4.000 à l’époque», souligne-t-elle. Elle se félicite également d’avoir su attirer au moins un centre logistique de Aldi, qui dessert tout le Grand-Duché et la province de Luxembourg, et qui a créé de nombreux emplois non qualifiés.
 
En revanche, dans son rôle de parlementaire, Michèle Detaille s’est senti inutile, n’ayant pas la sensation de contribuer à faire avancer les choses. Elle ne s’est donc pas «incrustée» au Parlement. Les indemnités d’un bourgmestre belge n’étant pas suffisantes pour vivre, elle a dû trouver un autre job.
 
C’est ainsi qu’à 31 ans, elle fait ses premiers pas dans le secteur privé, au sein du groupe Accor en tant que directeur commercial Benelux. Une expérience qui a duré huit ans et qu’elle juge «intéressante» en ce sens qu’elle lui a permis d’apprendre «beaucoup de choses, des règles, des méthodes que l’on acquiert plus difficilement dans une petite entreprise». On est alors au milieu des années 90. Chez Accor, elle ne peut pas devenir cadre, car pour progresser, il lui faudrait partir à l’étranger ce qui, en tant que bourgmestre, est inenvisageable.
 
Or, un projet lui tient à coeur depuis longtemps, celui de reprendre une PME pour la grande liberté que cette fonction offre, mais aussi parce qu’elle permet de mesurer de façon immédiate et concrète les conséquences de ses décisions et parce qu’elle oblige à la polyvalence. «Un chef d’entreprise est un peu un chef d’orchestre qui écrit sa partition… mais il n’est pas un premier violon», ajoute-t-elle. Elle cherche donc, avec son associé, une entreprise à reprendre, elle avec ses compétences de commerciale et son esprit d’entreprise, lui en tant que gestionnaire et «excellent financier», tous deux avec des limites techniques et la conviction que le succès étant lié aux personnes dans les services, cette voie ne serait pas la bonne. Après avoir examiné une dizaine d’opportunités, Michèle Detaille a vent de la volonté du patron de No-Nail Boxes de céder son entreprise. L’enthousiasme est immédiat: «Cela correspondait en tous points à mes aspirations: faire quelquechose de concret, avec la possibilité de gérer des gens et de faire évoluer des produits», explique Michèle Detaille.
Elle fait le parallèle entre sa fonction de bourgmestre, qu’elle a entretemps abandonnée non sans avoir trouvé un successeur, et celle de chef d’entreprise: «Dans une commune comme dans une entreprise, on doit se fixer des objectifs rigoureux en matière de gestion de l’argent, mais aussi un programme ambitieux qui correspond à une vision. Mais dans une commune contrairement à une entreprise, on ne peut dévoiler sa stratégie qu’étape par étape, avancer projet par projet, pour donner à ses concitoyens un effet d’immédiateté. En politique, on est aussi obligé de faire plus de compromis pour rester dans la course et pouvoir agir».
 
«J’ai besoin d’avoir un travail, d’être entourée par ma famille, mes amis, mais aussi d’avoir une activité sociale, d’être utile», indique Michèle Detaille. Cela se traduit concrètement par un “cumul de mandats”. En plus de diriger No-Nail Boxes depuis 1996, ayant fait passer la société de 17 à une centaine d’employés, elle a été désignée par le Mouvement Réformateur, d’abord comme censeure puis comme régente, à la Banque nationale de Belgique, une manière de rester dans le “bain” politique à raison de 25 réunions par an à Bruxelles. Elle est aussi membre du conseil d’administration de l’Université de Louvain, où elle achève actuellement son deuxième mandat. Voilà pour le côté social. Son rôle de membre du conseil d’administration de la FEDIL pourrait également être classé dans cette catégorie: «J’essaie de démontrer par l’exemple et l’implication que le nord du Luxembourg existe, que les PME ont des besoins spécifiques et qu’on peut confier des responsabilités importantes à des femmes, et j’apporte ma compréhension du monde politique», explique-t-elle. Michèle Detaille a aussi accepté la proposition de rejoindre la société d’investissement Luxempart en tant qu’administratrice que lui a adressée François Tesch, dont les propos et la vision ont su la motiver, ainsi que celle de Robert Dennewald, par ailleurs président de la FEDIL, de devenir administratrice chez Eurobéton.
 
A côté de ces activités professionnelles, celle qui ne fait les choses «que si elles l’amusent globalement et surtout pas dans la contrainte» joue au golf sans esprit de compétition, suit volontiers son compagnon à la Philharmonie pour des concerts de musique classique et se rend régulièrement à Paris pour voir des pièces de théâtre. Elle est aussi férue de voyages, auxquels elle se prépare par ses lectures, et a visité de nombreux pays d’Asie et d’Amérique du Nord et du Sud.
 
Quand on lui demande si, à un moment ou à un autre de sa carrière, le fait d’être une femme a été un frein ou, au contraire, un atout, elle paraphrase Marguerite Yourcenar: «Cela ne m’a jamais posé de problème parce que je n’ai jamais pensé que cela pouvait m’en poser un». «En fait, je pense que cela a été et reste plutôt un avantage, mais cela m’a obligée à travailler davantage parce que je n’avais pas le droit à l’erreur», ajoute-t-elle.   MT
 
 
 
 

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