L’épicier
“J’ai un parcours atypique et, pour mes amis et connaissances de jeunesse, je suis toujours resté l’épicier”, plaisante Laurent Schonckert qui, en guise d’épicerie, dirige une chaîne de supermarchés employant 4.000 personnes. Sa réussite, cette homme modeste l’attribue en partie à la chance, mais il la doit aussi à des qualités humaines, à du talent et à l’esprit combattif et collectif d’un sportif de haut niveau. Nous l’avons suivi des caisses de football aux caisses des grands magasins.
Loin d’imaginer qu’il serait à la tête d’un réseau de grande distribution, le jeune Laurent Schonckert rêve plutôt d’une carrière de footballeur. A douze ans, il marque ses premiers buts pour l’équipe de Mamer, son village d’origine. Assez vite, il sort du lot par son talent et est sélectionné pour un club de la capitale, puis gravit les échelons du milieu footballistique luxembourgeois. Une jambe brisée l’année où il passe son bac en section économique signe l’arrêt de sa potentielle carrière internationale.
Qu’à cela ne tienne, il en profite pour partir à Nancy suivre des études en sciences économiques et en droit à l’université.
A son retour, une licence de droit, une maîtrise en sciences économiques et un DESS I.A.E. en poche, il rechausse ses crampons pour vivre ses plus belles années en football. «A 22 ans, je savais que je ne pourrai pas devenir professionnel, mais que je pouvais néanmoins être un bon joueur. J’ai évolué en équipe nationale et j’ai connu une belle carrière par rapport à mon point de départ en tant que gosse du village», dit-il avec modestie.
Avec un père fonctionnaire communal, rien ne le prédestine à rejoindre l’univers de la grande distribution. Durant son adolescence, il se frotte à tous les métiers. Il fait la plonge, le service, le nettoyage dans l’hôtel-restaurant tenu par sa grand-mère maternelle du côté de la Sûre où il passe ses vacances avec ses deux frères. Plus tard, il assume divers jobs étudiants: chez un grossiste en cigarettes, chez un garde-forestier ou encore dans une grande banque de la Place. Une chose est sûre: il ne sera pas banquier!
C’est le foot qui est, en quelque sorte, à l’origine de la carrière de Laurent Schonckert chez Cactus. Lorsqu’il cherche un stage en entreprise pour valider son cursus universitaire, il postule chez Cactus, qui sponsorise -aujourd’hui encore- son club, l’Union, devenu entretemps le Racing. Sa candidature est retenue pour réaliser une étude de marché sur les produits blancs. Il donne satisfaction, le responsable du personnel lui propose de reprendre contact à l’issue de ses études, ce que fait Laurent Schonckert, et c’est ainsi qu’en 1984, commence une aventure qui dure depuis trente ans.
Il travaille, pour commencer, aux côtés de réviseurs externes ce qui lui permet de découvrir toutes les facettes de l’entreprise, des rayons du supermarché au service comptabilité, du département informatique aux ateliers de production. Et puis, il a la «chance» d’être rapidement pris sous son aile par le fondateur de Cactus, Paul Leesch, qui est féru de foot. «Il suivait les matches et il pouvait voir que j’avais de l’ambition, une envie de progresser, et que, en tant que capitaine, les autres m’acceptaient comme meneur. Mon bureau n’étant pas loin du sien, nous nous voyions chaque jour et je ne lui ai probablement pas fait si mauvaise impression puisque c’est lui qui a choisi de me confier un certain nombre de responsabilités», explique Laurent Schonckert qui, depuis 2002, estadministrateur-directeur de Cactus.
Alors qu’il sort de l’université avec un background intéressant mais théorique, Paul Leesch lui apprend «sur le tas» un métier qui demande avant tout du bon sens. «Monsieur Leesch me demandait souvent de l’accompagner dans le magasin, où il m’ouvrait les yeux sur de nombreux détails “terre à terre”. Notre métier touche à la vie quotidienne: la viande est bonne ou pas, la banane est mûre ou pas, le magasin propre ou pas. Chacun a une idée là-dessus. J’essaie donc de me mettre dans la peau du consommateur. Je continue à faire un tour dans le supermarché de la Belle Etoile deux ou trois par jour. Je renifle ce qui s’y fait. Il y a toujours du mouvement, toujours une progression, petite ou grande», raconte Laurent Schonckert.
Ce mouvement perpétuel est d’ailleurs une des facettes de son métier qui l’intéresse le plus. «Cactus a vocation à être une entreprise dynamique qui s’adapte à l’évolution de la société. Auriez-vous imaginé, il y a dix ans, que nous vendrions des produits de boucherie, de poissonerie ou de boulangerie on line ou que nous reviendrons aux petits magasins quand la tendance était alors aux grandes structures?», demande-t-il.
Ce qu’il aime aussi, c’est le contact avec ses collaborateurs et ses clients -encore une caractéristique liée à son esprit sportif. «Le sport est une école de la vie: au travail comme dans une équipe de foot, il y a des lents et des rapides, des plus ou moins intelligents, des bons techniciens, des fonceurs, des bavards et des rancuniers… Je pense que j’ai la capacité de les écouter, d’être un joueur collectif et de ne pas penser que je peux tout faire tout seul. Quand je suis arrivé dans la société, il fallait éviter de tomber dans le piège de croire que, parce que j’avais fait des études, j’étais plus malin que les gens qui y travaillaient depuis plusieurs années et qui avaient acquis un grand savoir-faire dans leur domaine. Élaborer des stratégies intellectuellement est une chose, encore faut-il être capable de les mettre en musique. Nous sommes aussi jugés sur notre réactivité sur le terrain. Il faut donc savoir rester modeste et reconnaître la valeur des gens qui nous entourent», explique Laurent Schonckert et d’ajouter: «Quand les clients m’accostent pour me faire part de leurs réflexions positives et négatives –et, avec quinze millions de passage en caisse par an, elles sont nombreuses- je joue le jeu».
Laurent Schonckert est également un homme engagé sur le plan associatif à travers ses fonctions de vice-président de l’Unicef Luxembourg. «J’ai un certain âge et, comme je n’ai pas d’enfants, je me suis dit que je pouvais peut-être par ce biais rendre à la société ce qu’elle m’a donné. Mon rôle est d’ouvrir certaines portes à l’Unicef pour l’aider à récolter des fonds. Cet engagement me donne aussi une vision sur des choses que j’ignorais: j’ai par exemple découvert comment une petite structure d’une douzaine de personnes doit se débattre pour faire face à ses défis quotidiens. J’aime ces gens-là pour leur modestie et pour leur implication pour une cause très sérieuse et très profonde». MT