Bunker Paradise

Datas centres, laboratoire d’expertise, atelier de restauration, show rooms particuliers, l’entrepôt franc luxembourgeois «Freeport Luxembourg», qui vient de sortir de terre, n’a rien d’un entrepôt classique. Il n’est ni plus ni moins une zone d’entreposage high tech aux allures de bunker de biens de très haute valeur exemptée de droits de douane et de taxe sur la valeur ajoutée.
Le Luxembourg vient de se doter d’une nouvelle arme redoutable dans le cadre de sa diversification économique, le Freeport Luxembourg, inauguré en grandes pompes le 17 septembre en présence des plus hauts responsables du pays, dont le chef de l’Etat en personne, et de plusieurs centaines de convives.
En bordure de l’aéroport du Findel, le Freeport n’est autre qu’un entrepôt franc, un local désigné et agréé par les autorités douanières de l’Etat membre qui l’abrite, destiné au stockage de marchandises, pour reprendre la définition traditionnelle. Aussi, sa particularité ou plutôt son atout est de permettre l’exonération de droits à l’importation, de taxes et de mesures de politique commerciale. Le terme de «port franc», quant à lui, ne paraît pas très approprié, un port franc étant par définition une zone portuaire. Mais qu’importe.
Le moins que l’on puisse dire est que les autorités luxembourgeoises n’ont pas lésiné sur les moyens: 22.000 m2 sur quatre étages, 16.400 m3 de béton utilisé, 1.700 tonnes d’armature et pas moins de 64.500 heures de travail pour une facture totale s’élevant à 50 millions d’euros. Le clou de ce qui s’apparente à l’extérieur comme un bunker austère hautement sécurisé entouré de hautes grilles surmontées de fil barbelé, est incontestablement l’intérieur de l’édifice, qui détonne tant par sa conception et ses équipements dernier cri en matière de sécurité et de conservation, que par son architecture audacieuse, signée par la designer américaine Johanna Grawunder et l’artiste portugais Vhils. Il n’était visiblement pas question de mettre sur pied un hangar quelconque, fadasse.
Mais à quelles fins ? Comme l’aime à le répéter la direction des lieux, «C’est un écrin fait pour garder de l’art, caractérisé par la présence de galeries éphémères et de showrooms privés». En effet, l’objectif de ce spectaculaire établissement est d’attirer les collectionneurs et investisseurs, qui, pour reprendre les termes exacts du principal investisseur dans le projet, le multimillionnaire suisse et acteur incontournable du port franc de Genève, Yves Bouvier, «ne trouveront pas de meilleur endroit pour entreposer, montrer et échanger leurs œuvres d’art et biens de valeur en toute sécurité».
La mayonnaise a pris, la foule se bouscule au portillon, à en croire Daniel Arendt, administrateur délégué de l’établissement, qui souligne que «Les clients potentiels ne devraient pas attendre trop longtemps car nous seront bientôt complets». Dans les faits, pas moins de 75% de la surface louable seraient d’ores et déjà réservés. Mesdames et Messieurs, vous savez à quoi vous en tenir.
D’où peut venir pareil engouement ? Comme l’explique Yves Bouvier, toujours, «En une heure, les objets peuvent entrer et sortir du dépôt, lorsqu’il en faut 48 heures normalement». La messe est dite. Rien d’étonnant lorsque l’on considère la configuration des lieux : le bâtiment est littéralement adjacent à l’un des terminaux ‘air cargo’. Un must, un nouveau paradis pour investisseurs au Luxembourg est né.
Pourtant, des voix s’élèvent déjà contre ce bijou made in Luxembourg. Les mauvaises langues voient déjà dans cette zone de stockage une zone de non-droit, propice à l’évasion fiscale, au blanchiment d’argent voire même aux trafics en tous genres. Même le très respecté The Economist, la référence de la presse britannique pour ne pas dire mondiale, s’en est donné à cœur joie.
Aussi, durant la visite guidée pour les journalistes qui a précédé l’inauguration officielle, nous avons eu affaire à un maître des lieux sur la défensive, manifestement quelque peu nerveux de voir défiler la presse internationale, et qui a anticipé toute question sur les possibles dérives de cette initiative, répétant à l’envie qu’ «il ne s’agit pas d’un no man’s land», mais d’un «territoire luxembourgeois sur lequel les lois s’appliquent (…) où aucune transaction ni aucun mouvement pourront se faire en dehors du strict contrôle des douanes».
Les autorités du pays n’auront cure des allégations des détracteurs du projet : le Freeport Luxembourg, c’est d’ores et déjà 80 emplois directs et un nombre certainement important d’emplois indirects dans le domaine de la logistique, de la finance ainsi que dans les industries de support.  PhR
 
Photo © Luxembourg Freeport

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