Près d’une famille sur cinq menacée par le risque de pauvreté
Présente dans 39 pays par le biais de 122 projets de coopération et d’aide humanitaire, Caritas a également du pain sur la planche au Luxembourg où, contre toute apparence, la misère est une réalité grandissante: chaque année Caritas Luxembourg y donne un toit à 1.500 personnes, y prend en charge 7.000 enfants, y aide 600 personnes à s’insérer par le travail, y écoute et conseille 3.000 personnes dans son espace dédié. La campagne d’actions de collecte de dons ‘Caritas Challenge’ commence le 1er mai, mais les besoins existent toute l’année, comme le rappelle Marie-Josée Jacobs, présidente. Interview.
Madame Jacobs, pourriez-vous dresser un état des lieux de la situation actuelle des familles défavorisées au Luxembourg? A partir de quel moment estime-t-on qu’une famille est dans une situation précaire? Combien d’enfants sont concernés?
Tout d’abord, précisons qu’il faut faire la distinction entre pauvreté et risque de pauvreté. Le risque de pauvreté est en nette augmentation au Luxembourg: alors qu’il concernait 72.000 personnes en 2009, il en touchait 95.200 en 2012, et 22,6% des enfants de 0 à 17 ans vivent aujourd’hui dans des familles menacées! On considère qu’il y a privation matérielle sévère dès lors que quatre des neuf critères suivants sont remplis: ne pas parvenir à payer son loyer ou des factures courantes, à chauffer correctement son logement ou à faire face à des imprévus, ne pas être en mesure de consommer de la viande ou du poisson au moins une fois tous les deux jours, ne pas pouvoir s’offrir une semaine de vacances en dehors de son domicile, ne pas posséder une voiture personnelle, un lave-linge, un téléviseur couleur ou un téléphone.
Le seuil de risque de pauvreté se situait en 2012 à un revenu de 1.639 euros par mois pour une personne seule, alors que le RMG était de 1.315 euros, et à 3.442 euros par mois pour un ménage composé de deux adultes et deux enfants, pour un RMG de 2.212 euros. Pour ces familles, ce sont en général les loyers qui posent problème, c’est pourquoi Caritas Luxembourg a demandé que le RMG soit recalculé en ajoutant, en plus des parts attribuées en fonction du nombre de personnes qui composent le ménage, une part pour le loyer et une part pour les imprévus, parce qu’on sait qu’il est presque impossible pour les personnes concernées de faire réparer une voiture qui tombe en panne ou de remplacer un lave-linge qui ne fonctionne plus. Nous cherchons à obtenir des changements adaptés à la situation des familles.
Quelles incidences ces situations de précarité peuvent-elles avoir sur des enfants? Et quels sont les projets mis en place par Caritas pour les aider?
Certaines personnes ne peuvent pas se nourrir correctement faute de moyens. Aussi, nous proposons des épiceries sociales ‘Caritas Buttek’ à Esch-sur-Alzette et à Diekirch. Les familles indigentes peuvent s’y procurer, après avoir reçu une carte de légitimation de l’office social de leur commune, des aliments frais, mais aussi des produits d’hygiène à des prix trois fois inférieurs à ceux qui sont pratiqués dans la grande distribution. Sachant qu’une alimentation peu équilibrée peut être source d’obésité, nous veillons également à proposer des repas sains dans nos maisons relais et dans nos crèches, qui sont d’ailleurs autant de lieux où des enfants de milieux défavorisés peuvent trouver, outre une nutrition saine et équilibrée, un accueil, une acceptation et des camarades, une surveillance aux devoirs et, plus généralement, un accompagnement et un cadre d’éducation qui incite les enfants à apprendre de leur propre gré et à se développer de manière à trouver leur place dans la société.
Les troubles de l’apprentissage touchent 10% des enfants, toutes couches sociales confondues. C’est pourquoi Caritas Luxembourg a mis en place un nouveau service appelé ‘dys-positif’ pour venir en aide aux jeunes souffrant de dyslexie, de dysorthographie, de dyscalculie ou d’un trouble apparenté. Les enfants et les jeunes issus de familles dans le besoin bénéficient de frais de diagnostic et d’aides thérapeutiques modérés en fonction des revenus des parents. Ce projet est important pour donner aux enfants une chance de faire un apprentissage normal. …
Young Caritas organise des colonies de vacances qui peuvent être prises en charge en fonction des moyens financiers de la famille pour permettre aux enfants défavorisés de sortir de leur quotidien et de rencontrer d’autres enfants issus de tous les milieux sociaux.
Un autre projet me tient beaucoup à cœur. Il s’agit des classes ‘Passerelles’ où nous accueillons des jeunes immigrés entre douze et trente ans qui sont récemment arrivés au Luxembourg sans connaître les langues usuelles du pays ou encore sans alphabétisation suffisante. Les résultats sont très enthousiasmants: six mois après le début des cours, tous parlaient déjà français! Il faut saluer leur motivation et le travail de leurs professeurs. Ces classes leur offrent la possibilité de revenir ensuite à un cursus scolaire ‘classique’ et de s’intégrer socialement et professionnellement au Luxembourg. Le plus bel exemple de réussite que nous ayons est celui d’un jeune Portugais qui est aujourd’hui en deuxième année de Droit à l’université. Devant le succès de cette initiative, nous avons ouvert une troisième classe.
Comment le public peut-il soutenir les projets de Caritas Luxembourg?
La campagne d’actions de collecte de dons ‘Caritas Challenge’ commence le 1er mai et il existe de nombreuses possibilités de soutenir nos projets pendant cette période, et tout au long de l’année, par exemple, en organisant une fête, un spectacle, un tournoi sportif, une vente de gâteaux ou une tombola dont les bénéfices seront reversés à Caritas Luxembourg… Il est possible aussi de soutenir cette campagne par un don sur le compte (CCPL) IBAN LU34 1111 0000 2020 0000 de la Fondation Caritas Luxembourg en indiquant la communication : Caritas Challenge ou à un de nos bénévoles qui circuleront au mois de mai dans les paroisses lors d’une quête porte-à-porte.
Les particuliers peuvent se mobiliser, mais les organisations et les entreprises peuvent aussi le faire. L’an passé, nous avions notamment reçu un don de 9.000 euros collectés à travers différentes actions par les employés d’une grande banque de la Place.
La collecte de dons est une chose, mais il est également très important de sensibiliser au fait qu’il y a des personnes qui sont dans le besoin toute l’année – et pas seulement à Noël-, car les gens pauvres n’ont pas de lobby.
Et les communes, comment peuvent-elles contribuer à l’amélioration des conditions de vie de ces familles?
Nous serions très contents que les communes mettent à notre disposition des espaces pour nos classes ‘Passerelles’, par exemple. Elles peuvent également nous soutenir par des dons directs, par l’organisation d’événements ou encore par la prise en charge des séjours des enfants de leur commune qui partent en colonie avec Young Caritas.
Il faut également souligner que, pour ce qui est des maisons relais et des foyers que nous gérons, la qualité de l’accueil se trouve aussi bien dans les infrastructures que dans les efforts faits pour faciliter l’intégration des enfants en situation précaire et leur donner la possibilité d’en sortir. MT