Budget de l’Etat 2014
Un dernier budget « ancienne génération » modeste, en attendant la nouvelle gouvernance budgétaire.
De gauche à droite: Patrick Ernzer, Directeur communication et médias ; Marc Wagener, Directeur Affaires économiques ; Carlo Thelen, Directeur Général de la Chambre de Commerce et Christel Chatelain, Attachée aux Affaires économiques
Avis budgétaire de la Chambre de Commerce
Dans son avis sur le projet de budget des recettes et des dépenses de l’Etat pour l’exercice 2014, la Chambre de Commerce identifie quelques points positifs, tels que la volonté du Gouvernement à consolider les finances publiques ou à renforcer la promotion de la place financière, mais critique le manque de transparence, l'absence de réformes structurelles et la réduction contre-productive des crédits budgétaires alloués à la Mutualité des employeurs ou à la promotion du Luxembourg comme pôle de commerce de la Grande Région. La Chambre de Commerce estime par ailleurs que les prévisions de croissance utilisées comme base de calcul pour le dernier budget «ancienne génération» sont trop optimistes.
En attendant le projet de budget 2015, annoncé par le Gouvernement comme l'heure zéro d'une nouvelle ère budgétaire, la Chambre de Commerce s'inquiète du récent accord salarial dans la fonction publique, qui aura un impact considérable sur les finances publiques et agrandira davantage encore les divergences salariales entre secteurs privé et public, à un moment où les entreprises du secteur privé sont obligées d’appliquer une modération salariale stricte pour rétablir leur situation compétitive.
Pour la Chambre de Commerce, 2015 sera une année charnière pour le Luxembourg. D’une part, l’économie luxembourgeoise sera confrontée à un « triple choc » : échange automatique d’informations bancaires (et les répercussions en découlant sur la place financière et les nombreux secteurs connexes), hausse de la TVA au 1er janvier et perte de recettes issues de la TVA en provenance du commerce électronique. D’autre part, le budget pour l’année 2015 sera présenté, pour la première fois, selon une nouvelle architecture et gouvernance budgétaires. Le budget sera établi de manière transversale et par programme d’action et non plus par ministère. L’idée de la performance et de sa mesure devrait insuffler une nouvelle dimension stratégique au pilotage des politiques publiques luxembourgeoises.
Dans ce contexte, la Chambre de Commerce salue la mise en place d’un Conseil national des finances publiques, organe de supervision qui sera chargé d’avertir le Gouvernement en cas de dérapage des finances publiques et de déviation de sa trajectoire visant à atteindre l’équilibre budgétaire. La Chambre de Commerce se réjouit également de l’initiative du Ministère des Finances de recourir aux conseils et services d’un consultant externe de renommée internationale pour contribuer à l’élaboration de la nouvelle architecture budgétaire.
Aux yeux de la Chambre de Commerce, l'adoption d'une nouvelle architecture budgétaire est devenue inéluctable dans un contexte où la pratique de réductions ponctuelles des dépenses touche à ses limites, étant donné que 80% des dépenses sont fixées par des lois ou sur base de conventions qu’il faudrait modifier ou renégocier afin de donner lieu à des économies. Le recours à des mesures structurelles afin de rendre aux finances publiques leur caractère soutenable, et ce principalement via une limitation des dépenses, est donc plus que jamais de mise.
L’urgence de la situation semble enfin être saisie …
C'est donc avec satisfaction que la Chambre de Commerce accueille l’annonce du Gouvernement dans le projet de budget 2014 de procéder au rétablissement de l’équilibre des comptes publics et au renversement de la tendance à l’accroissement de la dette publique. La Chambre de Commerce se félicite de constater que l’urgence de la situation est enfin reconnue et que des premières mesures sont prises pour replacer les finances publiques sur le chemin de la soutenabilité, et ce après 9 déficits de l’Administration centrale sur 10 budgets consécutifs.
….mais des réformes structurelles tardent toujours à être mises en œuvre
Si la Chambre de Commerce salue les velléités d’assainissement des finances publiques à court terme, elle regrette toutefois que le Gouvernement tarde à mettre en œuvre de véritables réformes structurelles (concernant le financement à long terme du régime de pensions et du système de santé, la formation des salaires et les interventions étatiques dans ce domaine, le chômage des jeunes, la problématique du logement, …), pourtant indispensables pour augmenter le potentiel de croissance, réduire le chômage et préparer le pays aux défis futurs.
La Chambre de Commerce tient en outre à rappeler que réformer les finances publiques n’est pas une fin en soi, mais un levier efficace pour développer le potentiel économique du pays et le niveau de vie de la population. La consolidation budgétaire ne doit pas être considérée en vase clos. La santé des comptes publics est en effet le reflet direct de la vigueur de l'économie du pays. Ainsi, le volet « consolidation » des finances publiques doit être complété par un volet « dynamisation » de l’économie et du marché de l’emploi et par un paquet « compétitivité, efficience et productivité ».
Accords salariaux dans la fonction publique : une décision incohérente avec la volonté d'assainissement des finances publiques
La Chambre de Commerce s’inquiète par ailleurs de l’impact des accords salariaux dans la fonction publique, et particulièrement de la nouvelle mouture, actée mi-mars, du paquet législatif portant sur la mise en œuvre de la réforme administrative et redéfinissant l'accord salarial dans la fonction publique. Les importantes hausses salariales concédées, alors que la masse salariale dépasse en 2014 le montant symbolique des 3 milliards EUR dans le seul chef de l’Etat central, sont déconnectées de tout critère de performance et des réalités économiques. En outre, elles donnent un très mauvais signal dans le sens où le Gouvernement pourrait être mis sous pression par des revendications similaires du secteur parapublic, sans parler de l’image envoyée au secteur privé qui se voit confronté à la dégradation de sa compétitivité avec de plus en plus de pertes de parts de marché à l’export. Par ailleurs, l’érosion des marges des entreprises, la pression concurrentielle, la sur-régulation et la baisse de la productivité subies par plusieurs secteurs menacent de plus en plus d’emplois dans le secteur privé, où il n'est dès lors pas envisageable de prévoir de tels accords salariaux.
Des réductions contreproductives de certains crédits budgétaires
Dans son avis, la Chambre de Commerce s’étonne également du déphasage apparent entre la volonté du Gouvernement à continuer à soutenir des activités de promotion du secteur du commerce luxembourgeois dans la Grande Région et la réduction du budget attribué à ces mêmes activités de promotion. Ainsi le budget alloué à la « Promotion du Luxembourg comme pôle de commerce de la Grande Région » est réduit de 150.000 EUR et s’établit dorénavant à 700.000 EUR, soit une baisse de plus de 17% par rapport au budget 2013 (850.000 EUR). Pourtant, le programme « Luxembourg, Pôle de Commerce de la Grande Région » (POC) est un succès et a entrainé une diminution significative de la fuite du pouvoir d’achat des résidents. Parallèlement, les dépenses des non-résidents dans le commerce de détails luxembourgeois ne cessent d’augmenter. La forte réduction de l’enveloppe budgétaire du POC met donc en péril ce programme, et ce dans un contexte délicat de hausse annoncée de la TVA. La Chambre de Commerce regrette profondément cette baisse et demande que le montant alloué soit reconsidéré.
Enfin, s’agissant de la Mutualité des Employeurs, la Chambre de Commerce critique vivement que le budget nécessaire à assurer la neutralisation financière, promise lors des négociations relatives au statut unique, ne soit pas alloué. L’article 56 du Code de la sécurité sociale n’a, en effet, pas été modifié pour augmenter la contribution de l’Etat de 0,3% de la masse salariale à 0,63% à partir de 2013. Par conséquent, au lieu des 86 millions EUR spécifiés dans le budget de la Mutualité, qui a été soumis et approuvé par arrêté ministériel en date du 13 décembre 2013, seulement 41 millions EUR figurent dans le projet de budget pour 2014. Le budget 2014 de la Mutualité se voit dès lors privé de 45 millions EUR, pourtant nécessaires au maintien de l’équilibre budgétaire, ce qui nécessitera un prélèvement sur la réserve légale (qui sera quasiment totalement consommée). La Chambre de Commerce regrette donc profondément cet état de fait et demande que cela soit corrigé avant le vote du projet de loi budgétaire à la Chambre des Députés.
Une administration publique portée par l'excédent trompeur de la sécurité sociale
Dans le projet budgétaire du Gouvernement, les dépenses cumulées de l’Administration centrale augmenteraient de 3,5% en 2014 par rapport aux prévisions budgétaires 2013 et de 4,3% par rapport au budget voté 2013. Sur cinq ans, la progression des dépenses n’atteindrait pas moins de 26,3%. Du côté des recettes, une hausse exceptionnelle de 685,4 millions EUR (+5,1%) par rapport aux prévisions pour l’année 2013 est attendue. Au total, les recettes, quant à elles, augmenteraient de l’ordre de 5,1% en 2014 en comparaison avec les prévisions budgétaires 2013, soit plus dynamiquement que les dépenses, avec à la clef un rétrécissement de l’effet ciseaux négatif entre les dépenses et les recettes.
Le résultat agrégé de l’Administration publique, qui résulte du cumul des trois soldes partiels (Administration centrale, Administrations de la sécurité sociale et Administration locale), fait état d’un léger excédent de 100,4 millions EUR en 2014, soit 0,2% du PIB. C’est toutefois l’excédent au niveau de la sécurité sociale (632,2 millions EUR ou 1,3% du PIB) qui permet de « compenser » en apparence le déficit qu’accusera l’Administration centrale et qui atteint 545,1 millions EUR ou 1,1% du PIB en 2014.
Des risques de dérapage non encore maîtrisés
Si l'effet ciseaux entre les recettes et les dépenses se réduit visiblement entre 2013 et 2014, cela est surtout dû aux recettes supplémentaires et exceptionnelles résultant de plus-values de recettes au niveau de l’e-commerce. La Chambre de Commerce regrette que les dépenses poursuivent inexorablement leur hausse et redoute que le choc soit d’autant plus important en 2015, que l’année 2014 ne soit qu’une année de transition et que l’effet ciseaux n’atteigne de nouveaux sommets, en raison d’une chute des recettes. En effet, la « fermeture » de l’effet ciseaux ne se fait nullement suite à une maîtrise des dépenses, mais est le résultat direct de recettes exceptionnelles. Aussi, si l’effet ciseaux s'estompe en 2014, il risque de s'accentuer davantage encore dès 2015 avec notamment la perte d’une partie substantielle des recettes de TVA sur le commerce électronique.
La dette publique, quant à elle, poursuit son inexorable hausse (23,3%) et, même si elle reste moins élevée (avant prise en compte de la dette cachée) que dans la plupart des autres pays européens et en-dessous du seuil maximal autorisé par les autorités européennes de 60%, les conséquences sont déjà lourdes. En effet, le Luxembourg dépensera, en 2014, 220 millions EUR au titre d’intérêts échus sur la dette. Un tel montant correspond à quasiment deux fois la contribution de l’Etat dans le fonctionnement de l’Université, équivaut presque aux dépenses du fonds des routes en 2014 ou au coût du financement du congé parental pendant presque quatre années et permettrait de financer la construction de plusieurs lycées.
Des prévisions de croissance et de recettes fiscales très optimistes
L’élaboration d’un projet de budget requiert de s’appuyer sur une prévision de croissance du PIB, laquelle constitue le socle des projections en termes de dépenses et surtout de recettes. Le projet de loi budgétaire table sur une croissance économique en termes réels de 3,2% à « politique inchangée » en 2014, ce qui s’avère plus optimiste que la croissance de 2,7% prévue dans la « Note de conjoncture 02-2013 » du STATEC (parue fin novembre 2013) et les prévisions d’hiver de la Commission européenne qui anticipaient une croissance de 2,2% pour 2014. La Chambre de Commerce estime que le budget 2014 aurait dû être basé sur une prévision de croissance, plus prudente, autour de 2,5%.
D’autre part, s’agissant des recettes, notamment fiscales, leur volatilité et la difficulté d’en évaluer ex ante le montant effectivement perçu laissent planer des incertitudes sur le rendement (car notamment basées sur des niches de souveraineté éphémères). Dans son avis, la Chambre de Commerce a réévalué le rendement de certains impôts – en l’occurrence la taxe d’abonnement, l’impôt retenu sur les traitements et salaires et la TVA – en prenant en considération des hypothèses d’évolution plus prudentes. En cas de rendements plus faibles, le déficit de l’Administration centrale connaîtrait une hausse importante. En l’occurrence, selon les hypothèses de calcul, le déficit de l’Administration centrale pourrait passer de 0,5 milliard EUR (1,1% du PIB) à 0,8 milliard EUR (1,6%), voire à 1,0 milliard EUR (2%).
Un potentiel d'économies non exploité
Dans son avis, la Chambre de Commerce propose un ensemble de mesures additionnelles, représentant un volume total de 326,4 millions EUR, qui s’ajouteraient donc au train de mesures annoncé par les auteurs du projet de loi budgétaire (230 millions EUR).
Ainsi, la Chambre de Commerce propose des mesures visant à réduire davantage les dépenses publiques de l’ordre de 187 millions EUR en agissant sur les dépenses courantes (cf. mesures ponctuelles, forfait d’éducation, …), sur les dépenses des fonds spéciaux (étalement de dépenses, gel des dépenses, …) et sur certaines dépenses en capitaux. De même, et en attendant la réforme fiscale globale annoncée pour 2017, il existe un potentiel d’augmentation de certaines recettes, dont la hausse n’impacterait pas outre mesure les activités économiques (cf. impôt foncier, abattements fiscaux, …), pour un montant total de 140 millions EUR.
Communiqué de la Chambre de Commerce