Une success story luxembourgeoise
René Elvinger est né à Helmsange, en 1951, d’un père cultivateur. Rien ne le prédisposait donc à une brillante carrière dans l’industrie. Il est pourtant aujourd’hui le discret patron d’une multinationale qui regroupe 2.600 personnes dans ses usines au Luxembourg, en Suisse, en Italie, en Espagne, en Pologne, en Chine et au Brésil et qui est basée à quelques encablures seulement de son village natal, à Steinsel.
Très jeune, c’est par l’économie qu’a été intéressé René Elvinger. Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires au lycée des garçons de Luxembourg, il entreprend donc un cursus en sciences économiques à Strasbourg.
De retour au pays en 1974, il fait ses armes au sein de la division ‘finances’ de la firme Goodyear où il découvre le monde de l’industrie automobile.
Deux ans plus tard, il rejoint Elth (Elth pour électronique-thermique), qui n’est alors qu’une «start-up», comme il la qualifie. La société vient, en effet, tout juste d’être fondée par des investisseurs italiens et compte treize personnes. René Elvinger ne la quittera plus et la fera fructifier. Il y entre en tant que numéro deux, puis en prend la direction générale en 1985.
Alors qu’elle avait été programmée pour occuper 105 personnes sur 4.000 m2 dans sa phase finale, la société a été agrandie dès 1979 et emploie aujourd’hui 610 salariés sur 27.000 m2. Sous la direction de René Elvinger, Elth connaît une progression continue de ses résultats et une expansion internationale, s’implantant entre autres dans deux pays émergents prometteurs: le Brésil et la Chine. Le groupe Cebi, dont Elth fait partie, fournit aujourd’hui ses produits à la majorité des constructeurs et équipementiers automobiles, ainsi qu’aux plus grands fabricants d’appareils électro-ménagers.
«Au Luxembourg, nous n’avons jamais été obligés de procéder à des licenciements collectifs», dit avec fierté René Elvinger, «et ce, même au plus fort de la crise du secteur automobile, en 2009, alors que, sur une période de neuf mois, nous avons enregistré une baisse moyenne de notre chiffre d’affaires de 39%. En décembre 2008, nous avons même atteint -70%! Nous pensions que c’était la fin de l’industrie. Nous avons eu recours au chômage technique pour la première fois, mais nous n’avons pas licencié. Nous avons trouvé des accords pour passer cette crise qui, d’ailleurs, laisse toujours ses traces et, à partir de septembre 2009, nous avons recommencé à embaucher».
Devenu au fil des années un très proche collaborateur de la famille actionnaire, on confie à René Elvinger la direction de toutes les sociétés du groupe en juin 2010 et, lorsque l’heure est venue de vendre, c’est en lui qu’elle voit le repreneur idéal pour assurer la pérennité des activités. Son esprit d’entreprise, son expérience de 35 années en tant que dirigeant et ses compétences professionnelles font de lui l’homme de la situation. Depuis juillet 2011, il préside donc le groupe Cebi et est administrateur délégué dans la plupart des sociétés du groupe.
Au moment où d’autres envisagent de prendre leur retraite, René Elvinger se lance dans une nouvelle aventure. C’est ce qui lui a valu d’être nommé ‘Entrepreneur de l’Année 2013’ par EY. «J’ai eu le courage, à 60 ans, de relever, avec ma famille, le challenge de maintenir un centre décisionnaire ici au Luxembourg au lieu d’accepter que l’entreprise soit reprise par un grand groupe financier qui aurait certainement démantelé certaines productions, et de prendre le risque d’hypothéquer tout ce que nous avons. C’est un projet auquel je crois et dans lequel je ne regrette pas de m’être lancé, bien au contraire, car, deux ans et demi après la reprise, je peux dire que nous avons une situation très solide», explique-t-il.
En 2013, la branche luxembourgeoise atteint un chiffre d’affaires record et les ventes augmentent de 4% au Luxembourg, alors que le groupe enregistre une croissance de 7,7% au niveau mondial, avec un chiffre d’affaires consolidé s’élevant à 375 millions d’euros. «En cette période particulièrement défavorable pour le secteur automobile, il faut être agressif pour réaliser de tels résultats», souligne René Elvinger.
Dans un contexte où il faut se montrer toujours plus compétitif faute de perdre des marchés, la clé du succès se trouve, selon lui, dans l’automatisation, qui permet de produire davantage en maintenant les mêmes effectifs. Et quand l’automatisation ne peut pas être mise en place, ce qui est le cas pour la fabrication de certaines pièces qui requièrent beaucoup de manutention comme les systèmes de lave-glace et de lave-phare avec pompes, la production est effectuée dans des pays où la main d’œuvre est moins coûteuse.
Il faut également investir sans cesse. «Nous sommes en train de monter une nouvelle usine au Mexique, et une autre à Shanghai où nous venons d’acquérir un terrain. Notre site polonais sera bientôt doté d’un hall de production supplémentaire de 5000 m2», énumère-t-il, «et, au Luxembourg, site auquel je suis très attaché parce que, même si ce n’est pas moi qui l’ai fondé, je l’ai vu se développer et j’ai pleinement participé à sa croissance, nous avons l’intention d’agrandir notre département ‘recherche’, car c’est dans la mise au point de nouveaux produits, l’évolution des produits existants et la réduction des coûts que se trouvent les promesses d’avenir pour le groupe». Cebi compte à ce jour sept centres de recherche qui occupent 10% du personnel, soit plus de 250 personnes.
L’approche de René Elvinger est aussi qu’on doit parfois savoir prendre à temps la difficile décision de sacrifier une partie des postes d’une usine pour ne pas mettre en péril l’ensemble des emplois.
Pourquoi s’endetter pour se lancer dans l’entreprenariat à 60 ans? «Pas pour le plaisir ou pour engranger des dividendes, répond-il, mais pour assurer une continuation. En tant que membre du Haut comité pour le soutien, le développement et la promotion de l’industrie, je souhaite démontrer ainsi qu’on ne doit pas totalement désindustrialiser le Luxembourg et, plus largement, l’Europe de l’Ouest, mais au contraire se donner les moyens d’y créer des usines. Vous ne pouvez pas imaginer le nombre de gens qui m’ont remercié de l’avoir fait. Le ministre de l’Economie lui-même m’a dit, lors de la cérémonie qui a été organisée par la commune de Steinsel pour le prix de l’Entrepreneur de l’Année, qu’il faudrait davantage d’entreprises comme celle-ci parce qu’elle embauche non seulement des ingénieurs pour la R&D et la qualité, mais aussi de nombreuses personnes qui n’ont pas fait d’études et apprennent un métier sur le tas. Le manque de formation est un facteur de chômage».
Si René Elvinger travaille encore de nombreuses heures par jour, il est aujourd’hui secondé par ses enfants. Il essaie cependant de réduire sa charge de travail et de créer un peu plus de temps libre. «Il faut connaître ses limites et savoir se reposer», conclut-il. MT