Tout est dans la substance
La vague réglementaire qui a déferlé sur le Luxembourg en 2013 n’est pas sans incidence pour les fournisseurs de services ‘corporate’. Pour répondre aux nouvelles problématiques qui vont se poser à elle, la société MAS Luxembourg a misé sur l’anticipation.
Interview d’un de ses fondateurs, Olivier Dorier.
Quel est votre point de vue au sujet des récentes avancées réglementaires visant moins d’opacité?
La position que le Luxembourg occupe au sein de l’Union européenne et les pressions liées à la crise économique que nous avons traversée ont rendu cette évolution nécessaire. Avant 2008, les gouvernements pouvaient se permettre d’être moins regardant. La régression économique a induit une augmentation des taux de chômage et une diminution des rentrées fiscales. Les états n’avaient donc pas d’autre choix que d’approfondir certains domaines qu’ils avaient négligés par le passé. Partant de là, le Luxembourg a pris des mesures pour écarter une certaine clientèle qui souhaitait échapper à l’impôt et a fait une croix définitive sur le secret bancaire. Je pense que cette évolution a eu un aspect positif: elle a mené la place à innover et à trouver des secteurs porteurs pour rester reconnue au niveau mondial en termes de gestion d’actifs, tout en étant en règle avec des normes internationales qui sont de plus en plus rigoureuses.
Quels atouts le Luxembourg a-t-il encore à déployer dans ce contexte où, ayant abandonné le secret bancaire qui faisait sa singularité, il se retrouve sur un pied d’égalité avec ses concurrents au niveau mondial?
D’abord, il n’est pas seul à être confronté à cette transparence fiscale. Tous les pays qui ont vécu sur le même modèle par le passé, comme la Suisse ou le Lichtenstein, sont en train d’adopter les mêmes réglementations. Ce qui est rassurant est qu’il n’y aura pas de distorsion en termes de concurrence. Pour autant, cette dernière sera évidemment plus rude demain et il va falloir nous battre pour offrir à nos clients une autre motivation de continuer à utiliser le Luxembourg. La place peut tabler sur son savoir-faire et ses compétences en matière de gestion d’actifs, mais aussi sur son ouverture. Nous avons des ressources humaines multilingues et qui ont des approches culturelles diverses. Pouvoir comprendre les attentes de clients de différentes zones géographiques dans le monde est une vraie richesse. Je crois qu’il y aura encore matière à développer la place financière, mais d’une manière totalement différente de celle que nous avons connue jusqu’à présent. Les grands établissements pluridisciplinaires vont certainement renforcer leur présence et diversifier leurs activités. En plus de la gestion d’actifs, je pense à la gestion des fonds d’investissement ou aux Family Offices. En revanche, il faut être conscient que, dans cette période où il faut rationaliser ses coûts, les petites structures pourraient être tentées de partir, surtout si le groupe auquel elles appartiennent dispose d’un centre assez important dans un autre pays de l’Union européenne.
Cette transparence s’applique également à votre métier. Comment MAS Luxembourg va-t-elle rebondir face à cette nouvelle donne?
Nous avions anticipé cette tendance dès la création de MAS, en 2003. Notre société a toujours été extrêmement vigilante quant au fait de servir une clientèle qui soit en ordre du point de vue fiscal. Nous n’avons donc pas été directement impactés par cette vague de réglementations.
Par contre, nous allons faire face à un véritable défi en ce qui concerne les grands groupes internationaux qui font de l’optimisation fiscale. Ces structures devront désormais investir énormément en termes de substance pour confirmer leur présence au Luxembourg. Les sociétés ‘boîte aux lettres’, comme on les appelait péjorativement, c’est terminé! Là encore, nous avons, dès le départ, proposé à nos clients des outils qui permettaient de répondre à ce besoin prévisible de substance, mais un point crucial sera la tenue beaucoup plus régulière de conseils d’administration et la prise de décision au Grand-Duché. D’un point de vue logistique, les outils existent, mais, d’un point de vue pratique, il y aura une activité plus soutenue et nos clients seront plus présents ici.
Quel bilan pouvez-vous dresser de l’année 2013 dans votre secteur d’activités? Et comment s’annonce 2014?
En 2013, nous avons connu une croissance limitée par rapport à 2012. Notre clientèle existante est restée, mais nous avons gagné peu de nouveaux clients. Par contre, je ne serais pas surpris que l’on ressente à nouveau une accélération au cours du deuxième semestre de 2014 et j’ose espérer que 2015 verra une reprise dynamique de nos activités. Nous avons également observé, ces deux dernières années, un mouvement de rapprochements entre des sociétés de domiciliation qui a fait émerger de très gros acteurs, et je crois que ce mouvement va s’accentuer.
Etes-vous, vous-mêmes, concernés par une fusion?
Nous ne sommes pas concernés par une fusion, mais nous restons extrêmement attentifs à ce qui se passe sur le marché. Nous avons ouvert un bureau à Paris qui est maintenant bien établi avec une vingtaine de personnes et qui a enregistré de très bons résultats en 2013. Luxembourg a continué de se développer, mais de manière moins dynamique, et nous sommes aujourd’hui une cinquantaine. Notre bureau de l’Ile Maurice reste intéressant pour son ouverture sur les marchés africains. Nous avons également un bureau représentatif à New-York, qui est un point d’attache pour notre clientèle d’Amérique du Nord.
Le nouveau ministre des Finances, Pierre Gramegna, a annoncé une hausse de la TVA de deux points. Quelle incidence cela aura-t-il pour les fournisseurs de services ‘corporate’ comme MAS?
Nous sommes conscient que la hausse de la TVA est une des solutions pour équilibrer le budget de l’Etat. Ce n’est donc pas une surprise pour nous. On nous propose de passer de 15 à 17%. Peut-être aurait-on pu procéder en deux étapes, pour voir comment les marchés réagissent dans un premier temps avec une augmentation d’un point de base. Cette hausse sera supportée par les entreprises et, dans le cas de structures dont la TVA est non récupérable, il y a de fortes chances pour que les clients se retournent vers le prestataire pour lui demander un effort supplémentaire en termes de coûts.
Si vous pouviez adresser une requête au nouveau gouvernement en tant que professionnel de la domiciliation, quelle serait-elle?
Elle serait de continuer à travailler à l’accessibilité du pays pour nos clients. Il existe déjà de nombreux vols internationaux vers des grands hubs comme Zurich, Francfort, Paris ou Londres, mais je pense qu’il faudrait également travailler de nouvelles connexions. Des liaisons avec Moscou ou des villes du Moyen-Orient, par exemple, qui ne sont qu’à quatre ou cinq heures de Luxembourg, auraient du sens.