Ménage à trois

Le Luxembourg est en train de négocier un virage historique. Voici près de 70 ans qu’il est conduit par le CSV, qui a commandé tous les gouvernements depuis 1944, à une exception près de 1974 à 1979. Les chrétiens-sociaux ont aujourd’hui été mis hors course par leurs adversaires par le truchement d’une habile manœuvre politique. Et le capitaine Juncker, doyen des dirigeants européens, qui tient la barre depuis près de 20 ans, a été débarqué au profit du jeune et fringant Xavier Bettel qui a le vent en poupe et devra donner un nouveau souffle sur le pays.

Alors que chacun des partis impliqués dans la future coalition tricolore plaçait la question démocratique au rang de ses priorités lors de la campagne électorale, on se demande  aujourd’hui si la méthode employée pour parvenir au pouvoir est, elle, bien démocratique. Est-il, autrement dit, représentatif de l’opinion publique que la formation politique qui a obtenu le nombre de voix le plus élevé et qui a, par conséquent, été plébiscitée par les électeurs, se retrouve reléguée au rang de parti d’opposition? D’aucuns utilisent le terme de ‘putsch’ pour qualifier cette manoeuvre, d’autres la justifient en avançant que le CSV, qui est sorti du scrutin affaibli de 5% des suffrages et allégé de 3 sièges de députés face à un DP galvanisé par une hausse de 3,2 points et 4 sièges supplémentaires, a perdu la partie en perdant la confiance d’une partie de ses électeurs.

Quelle que soit la façon dont on interprète cet événement, ce n’est pas la tactique qui est à remettre en question, mais le système électoral luxembourgeois. Il est, en effet, conçu de sorte à permettre le recours à ce type de stratégie. C’est le Grand-Duc qui est, selon la Constitution, censé choisir les ministres qui exerceront avec lui le pouvoir exécutif. En pratique, il désigne le Premier ministre, qui, lui-même, forme son gouvernement. Mais son pouvoir de décision se heurte aux limites du principe démocratique qui veut que les ministres obtiennent également la confiance de la majorité parlementaire. Revenons donc à la Chambre des députés. En s’alliant, le DP, le LSAP et Déi Gréng totalisent 32 sièges (avec respectivement 13, 13 et 6 sièges), soit la majorité dans une Chambre qui regroupe 60 députés. De quoi damer le pion, de manière un peu cavalière, certes, au CSV qui en a obtenu 23 et aurait donc eu besoin d’un partenaire de coalition pour combler les 7 sièges lui manquant. Échec et mat.

L’autre question qui se pose est de savoir si cette coalition peut fonctionner. Trois formations politiques, n’est-ce pas trop? Là encore, ce sera une première. Hormis dans le cadre du gouvernement d’union nationale d’après guerre, jamais le pays n’a été régi par plus de deux partis. Aucun antécédent historique ne peut donc démontrer le possible succès d’un tel trio.
En outre, le libéralisme fait rarement bon ménage avec le socialisme et l’écologie. Si l’on se réfère aux programmes des partis qui seront impliqués dans la future coalition, certaines divergences semblent difficilement surmontables. Si tous s’entendent, entre autres, sur l’importance de maintenir les finances à flot, de combattre le chômage, d’endiguer les prix de l’immobilier ou de ne pas négliger la place financière -qui pèse pour un tiers dans les recettes fiscales- tout en envisageant déjà des solutions de repli en prévision de sa décrépitude programmée, comment s’accorderont-ils sur les moyens d’y parvenir? Quand les uns parlent de réduire les dépenses publiques, les autres défendent bec et ongles la préservation du système social, quand les uns veulent suspendre tout ou partie de l’indexation, les autres prônent son maintien, quand les uns envisagent d’étendre le périmètre de construction pour élargir l’offre de logements, les autres préfèreraient que les terrains constructibles encore disponibles soient exploités en priorité. Et que dire de l’introduction de la taxe sur les transactions financières qui n’est pas du goût de tous?

Xavier Bettel a d’ores et déjà fourni à ses futurs partenaires une liste de dix points sur lesquels son parti ne transigera pas. L’éventuel terrain d’entente qui pourrait être trouvé dans ces conditions ne risque-t-il pas d’être miné? Renoncements et compromis pourraient, dans le pire des cas, conduire à des dissensions pouvant s’avérer dangereuses pour qui fait face à une opposition forte de 23 députés. Dans le meilleur des cas, on parviendra à un équilibre ‘durable’ entre les préoccupations économiques, écologiques et sociales.

La présentation du nouveau gouvernement et de son programme est annoncée avant Noël, c’est du moins l’objectif que se sont fixés les différents protagonistes. La suite, donc, au prochain épisode…  MT
 

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