Vol à haute altitude
Homme de convictions polyvalent et remarquablement érudit, Paul Helminger fait partie de ces personnalités luxembourgeoises au parcours très riche qui ont brillé tant dans le public que dans le privé. Libéral assumé, l’ancien bourgmestre de la Ville de Luxembourg est depuis peu à la tête de deux sociétés en pleine tempête, Cargolux et Luxair. Malgré la difficulté de la tâche, c’est quelqu’un de toujours aussi imperturbable que nous avons rencontré dans les locaux de Luxair.
Paul Helminger est né le 28 octobre 1940 à Esch-sur-Alzette «à la maison», nous dit-il tout naturellement, comme il était coutume à cette époque. Ses parents reviennent alors tout droit de l’évacuation du centre de la France, et après un retour éclair dans la capitale du fer, ils s’installent rapidement à Luxembourg-Ville où ils avaient déjà débuté les travaux de construction de leur future maison juste avant l’éclatement de la Deuxième Guerre mondiale.
Il passe ainsi toute sa jeunesse à Luxembourg-Ville, mais n’en oublie pas pour autant la terre rouge natale de sa mère: «Je me souviens que, jeunes enfants, nous avons passé pratiquement toutes nos vacances à Esch entre cousins, ce qui m’a permis de m’imprégner de cette époque de la sidérurgie qui dominait l’économie et durant laquelle les gens savaient pour quoi ils travaillaient», narre-t-il, soulignant amèrement, au passage, que les Luxembourgeois, aujourd’hui, n’ont guère plus conscience de la provenance de la richesse du pays et sont de moins en moins solidaires de son économie.
Paul Helminger passe ses examens de ce que l’on appelait «Collation des grades», à l’époque, au Grand-Duché, et décroche un doctorat luxembourgeois en droit en 1964. Parallèlement, il étudie à Paris à l’Institut d’études politiques de Paris d’où il sort son diplôme de sciences politiques en poche en 1963.
C’est le «choc culturel total», pour reprendre ses mots, lorsqu’il débarque aux Etats-Unis en plein cœur de la ‘Silicon Valley’ fin 1964, plus précisément à Palo Alto, pour rejoindre la prestigieuse Université Stanford, où il obtient le précieux sésame à la fin de l’année scolaire, un «Master en sciences politiques»: «Je venais d’une formation universitaire classique européenne, plutôt axée sur l’histoire, la philosophie et les grandes théories économiques, et tombe d’emblée sur des professeurs qui me demandent ‘Pourquoi s’encombrer le cerveau de tout ce savoir?’», s’amuse à dire Paul Helminger, qui découvre alors de puissants ordinateurs contenant des bibliothèques entières scannées, mis à disposition des étudiants pour leurs recherches. Cette approche du savoir reposant sur la recherche, la curiosité et l’esprit critique façonnera indéniablement le travail au quotidien du futur responsable politique et entrepreneur.
«Au Luxembourg, vous aviez une ascendance sociale presque prédestinée», prétend Paul Helminger, et en tant que fils d’instituteur il eût été logique qu’il devienne professeur, «mais nous avons tellement fait souffrir les profs, que je m’étais dit que jamais je ne serais de l’autre côté de la barrière», raconte-t-il goguenard.
Paul Helminger penche sans surprise pour la diplomatie, et intègre en janvier 1966 le service diplomatique du ministère des Affaires étrangères, où il se retrouvera en poste à Londres, Genève et Helsinki: «Sur le plan politique, j’ai été longtemps en charge des relations est-ouest, et il était passionnant de voir, non pas en tant que spectateur mais en tant qu’acteur, comment deux systèmes diamétralement opposés pouvaient coexister sans se faire la guerre ; le Luxembourg était fortement impliqué dans la définition des positions occidentales, que ce soit dans le cadre de la CEE ou dans le cadre de l’OTAN», nous confie-t-il.
En 1974, Gaston Thorn, membre du Parti démocratique, devient Premier Ministre. Il invite Paul Helminger à rejoindre son équipe en tant que chef de cabinet, une proposition que ce dernier s’empresse d’accepter. Lorsque lui demande s’il fallait voir là un prélude à son entrée au DP, celui-ci nous explique que «le DP était de toute façon mon parti de prédilection». De fait, s’il récuse l’étiquette d’ultralibéralisme qui colle à la peau du DP, il estime cependant qu’il faut voir dans celui-ci les notions de «respect de l’individualité» où la tolérance, le sens de l’équité et de la solidarité vont de pair avec «la prise en main de son propre destin», à l’opposé donc de «l’Etat providence».
L’ascension sociale se poursuit: Paul Helminger entre au gouvernement en 1979 en tant que secrétaire d’Etat aux ministères des Affaires étrangères, de l’Economie et de la Justice; il est élu député en 1984, poste qu’il ne quittera qu’en octobre 2012 (il ne siège cependant pas à la Chambre des Députés de 1989 à 1994).
La ‘Silicon Valley’, il ne l’a pas oubliée. En 1984, il franchit pour la première fois la porte du monde de l’entreprise et renoue avec ses souvenirs de jeunesse sur le campus de Stanford en prenant la tête de ComputerLand Europe, le plus grand distributeur de PC à cette époque, avant de jeter l’éponge cinq ans plus tard: «A un moment donné, j’ai réalisé que pour soutenir la croissance européenne, il fallait changer de modèle. Les Américains voyaient ComputerLand essentiellement comme un grand distributeur de PC alors que j’avais réalisé que le marché européen, lui, ne se satisfaisait pas de la simple livraison de matériel ; il voulait un service complet et des applications. Et cela, les Américains ne l’ont jamais compris», déplore-t-il.
Il décide alors de mettre à profit son expérience dans la gestion d’entreprise en créant SERIE SA, en partenariat avec Arthur & Andersen pour le volet consulting et la BIL pour le financement. La société se spécialise en conseils de restructuration pour PME. Elu au conseil communal de la Ville de Luxembourg en 1987 puis promu échevin en 1991, Paul Helminger, faute de pouvoir s’en occuper comme il l’aurait fallu, finit par vendre la société en 1993. Réélu à la Chambre des Députés, il se consacrera désormais totalement à la politique nationale et communale.
C’est la consécration en 1999 lorsqu’il est propulsé sur le fauteuil de bourgmestre, un fauteuil qu’il conservera 13 ans durant. A la question «Quelle empreinte avez-vous laissé sur la capitale après ce long ‘règne’», l’ancien bourgmestre nous fait deux révélations: «En interne, ce dont je suis le plus fier, c’est d’avoir su motiver le personnel formidable, en lui faisant saisir la différence qui existe entre fonction publique et service public, insistant sur le fait que nous sommes au service du citoyen. A l’exemple du «Biergerzenter» et de Hotcity, j’ai également beaucoup misé sur les TIC pour améliorer la qualité des services publics, donc l’attractivité de la Ville pour ses citoyens et pour ses visiteurs», révèle-t-il.
En externe, Paul Helminger est satisfait du travail qu’il a accompli pour éviter «l’éclatement de la ville», selon ses termes, une ville devenue hétéroclite car regroupée traditionnellement autour de deux quartiers centraux, la Ville haute et le Quartier de la Gare, auxquels il fallait dès lors intégrer le «corps étranger» du Kirchberg et les nouveaux quartiers périphériques du Ban de Gasperich et des Portes de Hollerich: «En cela, le tram, pour lequel je me suis battu, est pour moi, au-delà de la problématique de la mobilité, l’épine dorsale, le maillon fort qui permet de réunir les grands quartiers d’activités avec le centre-ville», avance-t-il.
A la surprise générale, Xavier Bettel, de la même fraction politique que Paul Helminger, remporte les communales en 2011, ce qui conduit l’ancien député-maire à mettre fin à sa carrière politique. En avril 2012, il est nommé président du conseil d’administration de Luxair avant de se voir confier la deuxième casquette de président du conseil d’administration de Cargolux en janvier 2013.
A la question «Pourquoi une telle levée de boucliers concernant ces nominations?», Paul Helminger affirme, non sans raillerie, que «On a dû se dire d’une part ‘Encore un politique’, d’autre part ‘Pourquoi un vieillard de 70 ans a-t-il encore besoin de travailler?’», avant d’ajouter simplement: «J’assume. Il y a deux gros défis à relever. On m’a donné l’occasion de les relever, je ne me suis pas dérobé», conclut-il avec le flegme et la détermination qui le caractérisent.
PhR