A vos claviers, citoyens!

Loin de tout esprit partisan, l’initiative ‘2030.lu – Ambition pour le futur’ a entrepris l’ambitieuse tâche de développer des pistes de réflexion pour appréhender au mieux les nombreux défis attendent le Luxembourg à l’horizon 2030. Et ce, en invitant chaque citoyen à participer à un débat qui ratisse large, aussi bien au niveau des thématiques qu’il compte aborder qu’au niveau du nombre et de la diversité des intervenants qu’il sollicite. Le coup d’envoi a été donné le 20 mars, devant une assemblée bigarrée de quelque 450 personnes.

Afin de défricher le terrain en vue du lancement du grand débat citoyen initié par ‘2030.lu – Ambition pour le futur’, l’institut TNS-Ilres a été chargé de mener une enquête représentative au sein de la population nationale et étrangère du Grand-Duché, ainsi qu’au sein de la communauté des travailleurs frontaliers. L’objectif de ce sondage, dont les résultats sont mis à disposition au fur et à mesure du déploiement de l’initiative, était d’identifier des priorités ainsi que d’éventuelles pistes de réflexion. L’étude tentait notamment de révéler la perception des citoyens vis-à-vis de thématiques centrales comme les défis d’avenir, la situation socio-économique actuelle, les obstacles à la création d’entreprise ou encore l’éducation, le droit de vote, la nationalité luxembourgeoise et la question linguistique.

Lors de la conférence du 20 mars au Forum Geesseknäppchen qui marquait le lancement du débat, cinq orateurs de renom ont exposé leur vision personnelle des principaux défis auxquels le Luxembourg devrait faire face à l’horizon 2030. Leurs analyses et propositions ont été commentées et discutées par un panel de jeunes, faisant partie de l’Association des cercles d’étudiants Luxembourg ou du Parlement des Jeunes. En tant que génération montante, ces derniers sont concernés au premier chef par l’évolution du pays et ils n’ont pas manqué d’exprimer leurs opinions, leurs ambitions, mais aussi leurs inquiétudes face aux différents scénarios possibles.

C’est Pierre Gramegna, le directeur de la Chambre de Commerce, institution qui a mis en place les plateformes nécessaires à ce grand débat participatif, qui a ouvert les ‘hostilités’ en exprimant ses souhaits personnels pour la société luxembourgeoise de 2030, à savoir que le pays soit toujours l’un des plus sûrs au monde et qu’il dispose d’un fonds souverain et d’une vision à long terme, ce qui n’est pas le cas actuellement, semble-t-il. Il l’entrevoit également comme un possible «port virtuel» pour de nombreuses marchandises européennes.

Pierre Gramegna a ensuite passé la parole à Rolf Tarrach qui, en tant que recteur de l’université du Luxembourg, s’est concentré sur les problématiques de l’éducation, de l’innovation et de l’entrepreneuriat. Il a exhorté les jeunes à oser davantage, à avoir le courage de sortir des sentiers battus et à quitter leur confort, les piquant avec des propos un brin provocateurs pour les inciter à réagir: «J’ai l’impression qu’un des problèmes est que de nombreux jeunes luxembourgeois n’ont jamais rencontré de véritables difficultés dans leur vie». La critique n’a pas été acceptée par ces derniers, qui y ont répliqué -sous les applaudissements du public- que leur génération avait hérité de suffisamment de difficultés de leurs aînés. Rolf Tarrach a estimé, par ailleurs, que l’actuel système de formation ne préparait pas suffisamment les jeunes aux réalités du marché de travail, ce qui est une raison supplémentaire, selon lui, pour faire ses propres expériences et accepter de relever des défis. Il s’est également montré soucieux du faible niveau d’intensité de la recherche au Luxembourg et du retour sur investissement déficitaire des dépenses publiques dans le secteur éducatif.

Marie-Christine Mariani, ‘Woman Business Manager of the Year’, a pris le relais sur le thème de la création de richesses et de l’indépendance financière. Se remémorant ses débuts de cheffe d’entreprise, elle a souligné que l’aventure entrepreneuriale demandait beaucoup de volonté et d’efforts pour se motiver «à se lever tous les matins pour affronter les obstacles inhérents à tout projet d’entreprise». Elle a, comme l’intervenant précédent, pointé du doigt la dette publique qui retentira sur les générations futures et s’est inquiétée de l’évolution des finances du pays. Elle l’a néanmoins encouragé à renforcer ses atouts, que constituent un cadre fiscal compétitif, une certaine stabilité économique et des services administratifs performants. Elle a également appelé le gouvernement à agir en bon père de famille, comme tout chef d’entreprise devrait le faire, et à pérenniser les finances publiques. Un jeune, faisant allusion à la situation critique dans le sud de l’Europe, lui a demandé lequel, selon elle, de l’austérité ou de la stimulation de la croissance économique par l’expansion fiscale et monétaire, était le bon chemin à suivre. Question à laquelle l’oratrice a répondu qu’il ne fallait pas diaboliser l’austérité, qui ne signifie pas nécessairement juguler la croissance, mais seulement réaliser des économies de façon réfléchie.

Les questions de l’énergie, l’environnement et l’économie verte ont ensuite été abordées par Jean Lamesch, docteur en chimie-physique. Il a ouvert son intervention sur un constat: le Luxembourg est –et de loin– l’actuel champion mondial de la consommation énergétique. Il a rappelé le caractère décisif et primordial du comportement humain dans la protection de l’environnement, la lutte contre la pollution et la surconsommation énergétique. Le scientifique a invoqué le concept de ‘tragedy of the commons’ pour expliquer que la compétition pour l'accès à une ressource limitée mènerait invariablement à un conflit entre intérêt individuel et bien commun, conflit qui mènerait lui-même tout aussi invariablement à une situation perdant-perdant. Il a illustré ce concept en citant l’exemple de l’énergie nucléaire, «qui accapare des dépôts géologiques communs à toute l’humanité, pour y déposer des déchets radioactifs qui perdureront pendant 3.000 générations ; et cela pour produire de l’énergie dont profite une seule génération». Jean Lamesch a finalement souligné que la base de l’écologie se trouve dans la tête des consommateurs et que seuls la réflexion et le raisonnement personnels, liés à l’éducation, permettront de changer durablement les mentalités en la matière.

Nico Steinmetz, architecte associé de Steinmetz-De Meyer, est ensuite intervenu sur les problématiques du logement et des infrastructures. Il a notamment témoigné de ses craintes face à l’évolution des prix de l’immobilier, aux démarches administratives très lentes, et à l’utilisation inefficace des ressources dans la construction. Une jeune fille du panel lui a demandé si, selon lui, sa génération pouvait continuer à imaginer vivre dans une maison unifamiliale entourée d’un jardin verdoyant. Ce à quoi l’architecte a répondu que, bien que ce rêve soit tout à fait compréhensible, il est irresponsable, va à l’encontre des objectifs d’efficacité énergétique et ne tient pas la route d’un point de vue budgétaire. Il s’est fait l’avocat d’une vie urbaine moderne, qui permet de réaliser des économies d’échelle importantes, tant au niveau écologique qu’économique et il a souligné le rôle important que ce mode de vie peut jouer dans le renforcement de la cohésion sociale. Le défi serait maintenant de le rendre plus attrayant.

La dernière à prendre la parole a été Nathalie Oberweis, politologue, journaliste indépendante et activiste, qui a tenu un discours engagé sur la solidarité et l’intégration sociale. Elle a mis en évidence le risque des constructions mentales dichotomiques menant à des réflexes protecteurs et à la stigmatisation des étrangers. L’oratrice a regretté que le Luxembourg ait récemment plutôt eu tendance à s’ériger en société d’exclusion que d’inclusion, notamment dans le domaine de l’éducation, dans l’administration publique ou encore dans son système électoral, qui connaîtrait un véritable déficit démocratique. Concernant la langue luxembourgeoise, Nathalie Oberweis a souhaité qu’elle ne soit pas, comme cela serait encore trop souvent le cas, utilisée comme un critère d’exclusion, mais plutôt comme un outil pour construire des ponts entre les nationalités. Elle a conclu son intervention en expliquant que nationalité et citoyenneté ne devaient pas forcément être liées et qu’il devait suffire qu’une personne travaille et habite au Luxembourg pour accéder au droit de vote, c’est-à-dire pour pouvoir exercer ses droits de citoyen.

S’en est suivi un débat libre entre les jeunes et les cinq intervenants de la soirée durant lequel les différents points à l’ordre du jour ont pu être étayés, sans toutefois qu’aucune réponse définitive n’émerge encore. Les problématiques abordées lors de cette conférence de lancement, qui entendait poser le cadre général du grand débat citoyen, seront développées lors de trois ateliers thématiques qui se tiendront tous au Cercle Cité dans les trois mois à venir. Le prochain atelier sera placé sous le signe d’‘Une société ouverte et tournée vers l’avenir’, il aura lieu le samedi 13 avril et s’articulera autour des axes éducation, innovation, entrepreneuriat, intégration et solidarité. La deuxième invitation est lancée pour le samedi 11 mai 2013 pour l’atelier ‘Un territoire pensé pour les générations futures’ qui se concentrera sur les thèmes de l’énergie, l’environnement, l’économie verte, des infrastructures et du logement. Enfin, rendez-vous le samedi 15 juin pour une discussion sur l’indépendance financière, la productivité et la création de richesse, intitulée: ‘Une économie soutenable au service du pays et de ses habitants’.

Pour visionner la vidéo du débat de lancement, pour s’informer sur les prochains ateliers ou pour y participer, il suffit de rendre sur le portail: www.2030.lu. Ce portail de discussion et de documentation, qui existe en versions française, anglaise et luxembourgeoise, est à disposition de toutes les personnes intéressées par le projet. Le succès de l’initiative dépendant largement de l’implication du public, il est invité à soumettre ses idées et propositions, soit par e-mail (info@2030.lu), soit dans les forums de discussion en ligne (www.2030.lu), soit en participant gratuitement aux conférences et ateliers. Toutes les idées ainsi collectées seront rassemblées dans un recueil dont la publication est programmée pour cet automne.

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