«La crise a remis certaines pendules à l’heure»

Depuis des années, les métiers manuels et techniques semblent peiner à attirer des jeunes. Un réel problème selon Paul Krier, sous-directeur et membre du comité de direction de la Chambre des Métiers de Luxembourg (CDM), qui nous prouve que si l’artisanat est victime, c’est surtout des mentalités et de l’orientation et moins de la crise.
 

Qu’est-ce qu’une carrière dans l’artisanat?

Tout commence avec un DAP (ndlr: Diplôme d’Aptitudes Professionnelles) proposé dans environ 70 métiers de l’artisanat. Ce diplôme est un apprentissage durant lequel les élèves alternent entre apprentissage en entreprise et cours à l’école. Ensuite, ceux qui le souhaitent peuvent passer le Brevet de maîtrise dans une cinquantaine de métiers.

Si le DAP permet à l’élève de se professionnaliser et d’acquérir toutes les compétences pratiques et théoriques nécessaires pour accomplir un métier, le Brevet de maîtrise, lui, offre en plus des cours de gestion, de droit, de communication et de ressources humaines afin qu’il puisse s’établir à son compte et pouvoir, à son tour, recevoir et former des apprentis.
C’est ce que nous appelons le “modèle artisanat“: nous formons notre propre succession.

Beaucoup parlent d’une dévalorisation des métiers manuels et d’une baisse d’élèves importante. Que constate la CDM?

Pour nous, le véritable problème est moins le nombre d’inscrits que leurs volontés et leurs motivations.

En effet, nous rencontrons beaucoup de difficultés à trouver des jeunes motivés et qualifiés dont l’engagement dans une carrière artisanale est le premier choix et non un choix par défaut.

Par ailleurs, nous constatons aussi un déséquilibre entre les souhaits des élèves et les disponibilités dans les entreprises. Certains métiers sont saturés en termes de places en entreprises, alors que d’autres manquent cruellement d’intéressés.

A qui la faute, selon vous?

En grande partie à l’orientation.
De nos jours, les élèves qui visaient des études scolaires supérieures mais qui échouent dans leurs espoirs de carrières de “cols blancs“ sont orientés vers l’apprentissage. Il en va de même pour les métiers industriels et commerciaux.

En ce qui concerne le déséquilibre entre offre et demande, il s’agit surtout d’un problème mental et culturel. Certains métiers sont très à la mode, comme coiffeurs ou esthéticiens, alors que d’autres, tels que ceux du bâtiment, intéressent beaucoup moins car les gens en ont souvent des images dépassées.

Comment remédier à ces problèmes?

Notre souci majeur est de mettre fin à l’orientation par l’échec et de pouvoir vraiment motiver les jeunes à choisir les formations qu’ils souhaitent selon leurs propres goûts. L’orientation est pour nous un point primordial parce que la vie commence avec l’orientation.

Le Forum de l’Orientation a d’ailleurs dressé une conclusion en ce sens en prévoyant, notamment, la mise en place d’une Maison de l’Orientation qui regroupera sous une même enseigne tous les services de l’orientation et où les jeunes pourront se faire conseiller et orienter. Certains services commencent déjà à se regrouper et un projet de loi pour restructurer l’orientation au Luxembourg est prévu.

En outre, au niveau de la CDM, nous avons créé, en partenariat avec la Chambre des Salariés et le ministère de l’Education nationale, un poste de “matcher“ qui aura, dès le mois d’octobre, trois missions principales.

La première sera d’intervenir dans les classes pour parler aux élèves de la réalité des métiers sur le terrain, sur leurs débouchés et leurs accessibilités.
La seconde sera d’acquérir les postes d’apprentissages dans les entreprises pour, ensuite, viser l’équilibre entre l’offre et la demande. Enfin, ce “matcher“ devra faire le lien entre les souhaits des élèves et les postes proposés.

Tout cela est un travail de longue haleine car nous vivons dans une époque où tout ce qui était “col blanc“ était bien vu, et tout ce qui était travail manuel et technique était dévalorisé. Je dis “était“ car je crois que si la crise a eu un tout petit effet positif, c’est d’avoir remis certaines pendules à l’heure en montrant des alternatives de formations par rapport à d’autres secteurs.

Voulez-vous dire que la crise a été bénéfique à l’apprentissage dans l’artisanat?

Ces trois, quatre dernières années, nous avons noté une certaine tendance à l’amélioration, car beaucoup de jeunes, mais aussi leurs parents, qui jouent un rôle moteur dans l’orientation de leurs enfants, s’aperçoivent que tout n’est pas rose dans les métiers soi-disant intellectuels. Je pense donc que, en effet, la crise amène certaines personnes à se poser des questions et à réaliser que l’artisanat est un secteur solide qui a su se développer, même en temps de crise.

Il faut dire que, malgré la crise, l’artisanat s’est montré très stable et a même vu son nombre d’entreprises, tout comme le taux d’employés, augmenter. C’est donc un secteur stable et moins sujet aux crises internationales que les gens ont découvert ou redécouvert.

On pourrait croire qu’au contraire, les petites et moyennes entreprises de l’artisanat tiennent moins bien dans les tempêtes que les grandes entreprises. Comment expliquez-vous cet effet inverse?

Par la simple et bonne raison qu’une entreprise artisanale est implantée au territoire. On ne peut pas, ou difficilement, exporter ces travaux à l’étranger puisque ce sont des services directs aux clients. Un coiffeur ne peut pas partir, il doit être proche de son client tout comme les entreprises de constructions construisent les maisons sur place.

L’artisanat n’est pas de l’économie virtuelle mais bien de l’économie réelle. Une réalité à laquelle les jeunes et leurs parents ne sont pas insensibles.