«La peur de l’échec sous-tend en partie notre culture»
En marge des ‘Journées création et développement d’entreprises 2011’, nous avons donné la parole à Gérard Eischen, chef du département «Création et Développement des Entreprises» de la Chambre de Commerce, qui s’est livré à une analyse détaillée sur l’évolution de cette manifestation au fil des ans et sur les défis micro-économiques qui attendent le pays. Entretien.
Les ‘Journées création et développement d’entreprises 2011’, organisées conjointement par la Chambre de Commerce et la Chambre des Métiers , ont eu lieu du 12 au 25 octobre 2011. Quelle est leur vocation ?
Avec la dématérialisation, les nouvelles technologies de l’information et de la communication et différentes réformes réglementaires, nous avons affaire à des porteurs de projets de mieux en mieux informés, de sorte qu’il ne s’agit plus, comme il y a dix ans encore, de leur fournir des informations de base.
La situation a donc totalement changé, mais il reste à rassembler les acteurs spécialisés dans la finance, les autorisations, les licences, l’encadrement, les plans d’affaires, le mentoring, etc. une fois dans l’année à un même endroit pour apporter des conseils et réponses à ceux qui souhaitent créer ou développer leur entreprise.
Aujourd’hui, grâce à ce «nouveau» public, nous avons la possibilité de nous focaliser sur des thématiques d’actualité qui revêtent un tout autre degré de complexité.
Pour cela, il suffit de jeter un coup d’œil au programme de cette année: «Cap sur la transmission d’entreprise», «Exploiter les réseaux sociaux pour développer sa relation clients», etc.
Dès lors, ce ne sont plus des conférences classiques où un intervenant expose en détail les tenants et aboutissants d’une problématique, mais des ateliers placés donc sous le signe de l’actualité récente.
Car la plupart des participants ont déjà des projets concrets en tête et connaissent le cadre réglementaire ; ils ont ainsi des questions et des intérêts précis quant au développement de leur plan d’affaires, pour les uns, pour le développement de leur entreprise pour les autres.
On peut dire que ces journées sont devenues une véritable institution.
La promotion de l'esprit d'entreprise et l'encouragement à la création de nouvelles entreprises font partie d'une politique de diversification des activités économiques. Pourquoi le Luxembourg tient-il à ce point à diversifier son économie ? Est-ce un impératif vital ?
Oui, bien sûr, c’est un impératif vital pour le Luxembourg comme pour tout autre pays développé dans le monde.
Au Luxembourg, on a troqué la monoculture de la sidérurgie pour la monoculture de la finance dans les années 80.
Aujourd’hui, bien évidement, la situation est différente. Bien qu’il faille maintenir – et repositionner d’ailleurs – notre place financière soumise à la fois à des pressions et à de nouvelles donnes dans une économie globalisée, de par le caractère ouvert de notre économie tant sur le plan de l’exportation que de l’importation, nous devons conserver ce qu’il reste de l’industrie sidérurgique et développer les PME actives dans l’industrie manufacturière tout comme booster parallèlement le secteur de la logistique.
C’est un des axes que le gouvernement a identifiés et qui est prometteur, dans la mesure où nous sommes très bien situés, disposons d’une ligne aérienne de fret renommée et du hub ferrovier Bettembourg-Perpignan. Le développement des friches de Bettembourg en centre logistique et la réalisation d’une zone franche sur le site de l’aéroport vont ainsi tout à fait dans ce sens.
Un deuxième axe privilégié est celui des sciences naturelles et de la vie, avec, entre autres, la biomédecine et les technologies vertes, qui va de pair avec le développement de l’Université du Luxembourg et de l’incubateur national à Belval, qui favoriseront l’établissement de spin offs du monde académique.
Avec l’évolution d’une économie devenue mondialisée et le développement des TIC, l’innovation est devenue un élément essentiel pour tous les acteurs économiques luxembourgeois, de l’industrie des services au petit commerçant. Aussi, diversification rime avec innovation.
Les PME constituent-t-elles une assise économique aussi importante que dans d’autres pays européens à l’instar de l’Italie ?
Oui, comme partout en Europe, l’économie luxembourgeoise est largement dominée par les petites et moyennes entreprises depuis la fin des «Trente glorieuses». Près de 98% des entreprises sont des PME. La majeure partie de ces PME sont mêmes des TPE, c’est-à-dire des très petites entreprises, voire même des micro-entreprises avec l’entrepreneur comme seul salarié. Le progrès, l’innovation ne sont plus l’apanage des grands, loin s’en faut.
Précisons que dans un monde en mutation constante, une entreprise n’est normalement plus vouée à vivre éternellement. Elle saisit une opportunité pour fermer éventuellement à un moment donné. L’entrepreneur d’aujourd’hui est donc plus que jamais appelé à devenir un «serial entrepreneur» qui crée donc une société dans une filière avant de se rediriger vers une autre filière, une autre niche.
Dans le contexte économique actuel, une importance primordiale revient aux PME comme facteur stabilisateur de l'activité économique. Plus que jamais, le succès de nos sociétés dépend essentiellement de l'initiative entrepreneuriale. Or, les jeunes Luxembourgeois manifestent une certaine résistance à intégrer le secteur privé, selon les aveux mêmes du directeur de l’asbl «Jonk Entrepreneuren». Dès lors, comment relever le défi ?
Que les jeunes Luxembourgeois rechignent à se lancer dans le secteur privé ou dans l’aventure de la création d’entreprise est indéniable. Il faut cependant nuancer ce constat.
Quand ont dit Luxembourgeois, on dit toujours Luxembourgeois de souche, mais sur notre territoire, pratiquement la moitié des personnes qui y sont domiciliées sont des non-Luxembourgeois. En outre, des 350.000 personnes actives, 150.000 sont des frontaliers. Il y a ainsi moins d’un tiers de Luxembourgeois dans la masse salariale.
En fait, le problème qui se pose est que nous sommes au Grand-Duché actuellement toujours confrontés à une «concurrence» que certains qualifient de «déloyale» de la part de l’état luxembourgeois, qui, avec les salaires qu’il octroie à ses fonctionnaires – généralement Luxembourgeois – ne simplifient pas la démarche de la création d’entreprises par les Luxembourgeois.
Outre ce constat, il est très important d’évoquer le facteur de la culture du risque. Contrairement aux pays anglo-saxons, la peur de l’échec sous-tend en partie notre culture. D’où la crainte de prendre des risques et d’être mal perçu par l’environnement. Et même si le système scolaire progresse et se réforme – et je tiens à saluer les efforts accomplis dans le domaine par la ministre de l’Education nationale Mady Delvaux-Stehres -, il ne forme pas suffisamment de «personnalités» et ne stimule pas assez la créativité des jeunes gens, ce qui représente un frein à la création d’entreprises.
J’estime en cela qu’il est essentiel que l’école luxembourgeoise change de paradigme.