Quand politique énergétique rime avec perspectives économiques

Le gouvernement s’est fixé des objectifs ambitieux en termes de réduction des émissions de CO2 et d’utilisation des énergies renouvelables et met en place les outils nécessaires pour les atteindre. Mais chacun, citoyen et entreprise, a une responsabilité dans le succès de cette politique, comme le souligne le ministre, qui salue et se dit prêt à soutenir toutes les initiatives privées en la matière.
Interview de Jeannot Krecké, ministre de l’Economie et du Commerce extérieur.

 

L’accident de Fukushima a ranimé la polémique autour du nucléaire. Le Luxembourg n’est certes pas producteur, mais reste consommateur d’énergie nucléaire. Est-il réaliste d’envisager d’abandonner cette source de production? Existe-t-il aujourd’hui des alternatives intéressantes pour le pays en termes de volume et de coût de production?
Quelles seraient les conséquences pour les citoyens de l’abandon du nucléaire? Quelle est leur part de responsabilité dans la réussite d’une politique énergétique favorisant les sources alternatives?

 

Le gouvernement a toujours souligné son attitude critique envers l’énergie nucléaire et n’a jamais envisagé de poursuivre l’option nucléaire sur le territoire luxembourgeois. Cependant, nous dépendons à raison de quelque 50% d’importations d’électricité des pays limitrophes du fait que les installations de production au niveau national ne peuvent pas satisfaire la demande nationale. Il faut savoir que la quote-part du nucléaire dans la consommation d’électricité en Europe s’élève actuellement à quelque 28% et n’est donc pas négligeable.
Un abandon complet et immédiat du nucléaire en Europe aurait comme conséquence que la consommation européenne ne pourrait plus être satisfaite sans que cela ait des conséquences immédiates sur la sécurité de l’approvisionnement. Une sortie du nucléaire au niveau européen nécessiterait donc une période de transition importante afin de pouvoir remplacer les capacités manquantes par des capacités nouvelles ayant recours à d’autres vecteurs énergétiques, notamment le gaz naturel.
Afin de réduire la dépendance énergétique et de réduire les nuisances pour l’environnement, les ministres de l’Union européenne ont décidé d’augmenter la quote-part des énergies renouvelables dans l’approvisionnement énergétique à 20% à l’horizon 2020, ce qui engendrera une quote-part supérieure à 30% d’électricité verte en Europe en 2020 par rapport à la consommation totale d’électricité.
Pour favoriser le déploiement des énergies renouvelables, il faut l’initiative et les efforts aussi bien des entreprises que des citoyens. Ces derniers devront agir de façon plus déterminée pour un avenir énergétiquement plus efficace et recourir aux énergies renouvelables là où il s’avère utile et faisable. Il faudra se concentrer prioritairement sur les secteurs du transport et  de la construction. Davantage de nouvelles maisons énergétiquement efficaces veut dire plus de maisons passives et un assainissement énergétique ambitieux de la bâtisse existante, le tout combiné avec des sources renouvelables telles que la biomasse et le solaire. Dans le domaine de la mobilité, il y aura lieu de recourir aux moyens de mobilité douce et à des voitures moins énergivores. Pour ce qui est de l’électricité verte, les citoyens devront recourir à des offres d’électricité verte afin de soutenir les investissements dans ce secteur.

La directive européenne sur l’efficacité énergétique des bâtiments qui sera transposée dans les lois luxembourgeoises impose que tous les bâtiments publics construits après 2018 soient passifs voire positifs en énergie; il en sera de même pour les bâtiments d’habitation en 2020. Quelles sont les retombées attendues?

Le gouvernement a effectivement décidé en juillet dernier de renforcer les exigences en matière de performance énergétique, avec le but de donner au secteur de la construction une visibilité à moyen terme et afin de permettre à ses acteurs de mieux se préparer aux nouveaux défis futurs. Au cours des dix dernières années, un total de quelque 12.000 nouvelles constructions ont été réalisées. Comparé au nombre de bâtiments existants dont le parc est actuellement estimé à quelque 140.000 bâtiments, il est clair que le grand défi se trouve du côté de l’assainissement énergétique du parc immobilier existant. Afin de pouvoir réduire les consommations énergétiques en termes absolus dans les bâtiments, il y a lieu de faire deux choses: augmenter le nombre d’assainissements de manière considérable et garantir des constructions nouvelles avec une haute, voire très haute performance énergétique.

Le Plan d’action national en matière d’énergie renouvelable vise à atteindre 11% d’énergie renouvelable à l’horizon 2020 et 231 millions d’euros ont été investis dans ce sens. Parmi les initiatives qui permettront de parvenir à cet objectif, la centrale de cogénération Ecogen est un projet phare. Pourriez-vous nous en dire plus à ce sujet? Quel sera le poids de cette centrale dans la réalisation des objectifs?
Le programme lancé par Enovos auprès des communes consistant en la mise à disposition des toitures publiques pour l’achat en copropriété d’installations photovoltaïques sera-t-il aussi un levier intéressant pour le développement des énergies renouvelables?

En effet, j’ai présenté, ensemble avec les entreprises impliquées, au cours des derniers mois deux projets majeurs de biomasse, à savoir les projets Ecogen et Kiowatt. C’est le fruit de la réforme entreprise en 2008 pour ce qui est des tarifs d’injection d’électricité, réforme qui a été complétée par une adaptation du régime d’aides à l’investissement pour les entreprises qui couvre également le soutien aux énergies renouvelables.
Ensemble, ces deux projets pourront contribuer à raison de plus ou moins 14% à la réalisation de l’objectif à réaliser sur le territoire national, tel que prévu dans le plan d’action national en matière d’énergies renouvelables retenu par le gouvernement en 2010.
Le projet Ecogen, comme le projet Kiowatt, aident à atteindre trois objectifs principaux: développement et diversification économiques, réduction des émissions de gaz à effet de serre et augmentation de la production d’énergies renouvelables sur le territoire national.

Pour ce qui est des actions concernant la mise en place de nouvelles centrales photovoltaïques sur les bâtiments publics et l’implication des communes, je suis satisfait d’observer de multiples initiatives par les acteurs du domaine de l’énergie qui soutiennent les objectifs du gouvernement en matière de développement des énergies renouvelables. Ces initiatives ne peuvent se développer que sur base d’un cadre de soutien approprié. Dans ce contexte, je suis en train de revoir les tarifs d’injection pour la production de l’électricité basée sur les énergies renouvelables et je vais soumettre une proposition de réforme des tarifs sous peu.

Claude Turmes, eurodéputé vert, a récemment déclaré à un de nos confrères que “le pire lobbying qui puisse exister reste celui fait par les ministres nationaux de l’Economie ou de l’Energie, qui sont souvent très influencés par les multinationales de leurs propres pays”. Que lui répondez-vous? L’efficacité énergétique ne peut-elle pas constituer une entrave au dynamisme économique?

Je suis personnellement d’avis que l’efficacité énergétique comporte des chances énormes pour alimenter un dynamisme économique à moyen et à long terme. Je ne vois pas l’efficacité énergétique comme une entrave. Bien au contraire. Ce n’est qu’une question de bons choix au niveau des instruments et des moyens pour la mise en oeuvre de l’efficacité énergétique. Comme il a été documenté par le Plan d’action national en matière d’efficacité énergétique qui a été récemment approuvé par le gouvernement, le Luxembourg est sur la bonne voie. Il reste certes un chemin important à parcourir, mais je suis prêt à relever ce défi.
Finalement, en tant que ministre en charge de l’économie, j’observe de très près la question de la compétitivité de l’industrie luxembourgeoise et européenne et je n’arrête pas de souligner l’importance d’un tissu industriel fort pour notre économie et pour notre pays. Il faudra absolument trouver des solutions adaptées pour soutenir la compétitivité de nos entreprises au niveau international tout en maintenant nos engagements en matière d’efficacité énergétique et au niveau des émissions de gaz à effet de serre.

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