Les défis de demain dans le secteur public
A peine sorti d’une des plus graves crises financières depuis de nombreuses années, une nouvelle tourmente se profile pour les Etats européens avec l’aggravation de la crise étatique liée à la dégradation des finances publiques. Ainsi, tout comme ses homologues, le gouvernement luxembourgeois doit continuer sur sa lancée, développer des mesures d’assainissement budgétaire et se préparer aux futurs changements démographiques et environnementaux.
Une crise peut être considérée comme une opportunité pour relever de nouveaux défis et de continuer les initiatives de modernisation de la gouvernance actuelle.
La situation économique actuelle du Luxembourg reste relativement incertaine avec d’un côté des projections économiques encourageantes et de l’autre un environnement fragilisé par la crise des dettes souveraines.
Selon le Statec, «la crise des dettes souveraines laisse planer, comme une épée de Damoclès, un risque permanent dont il est difficile d'apprécier les conséquences potentielles : les incertitudes quant à cette problématique brident la confiance (des investisseurs, des entrepreneurs et des consommateurs) et constituent un frein aux perspectives d'expansion».
La reprise, actuellement en cours, se caractérise par une croissance modérée estimée à 4% pour 2011, et à 3,8% pour 2012, reflétant l’évolution de la conjoncture internationale. Le taux de chômage, avec un seuil record de 6% en 2010, devrait légèrement diminuer dans les années à venir. Malgré une trajectoire du déficit public en 2010, améliorée par rapport aux prévisions (1,7% du PIB), l’endettement public continue de se creuser, en atteignant 18,4 % du PIB en 2010. Quant aux prévisions révisées pour 2011 et 2012, elles tablent sur un déficit de respectivement 0,8% et 1,1% du PIB. La Chambre de Commerce du Luxembourg met en garde contre la progression des dépenses qui évoluent à un rythme supérieur aux recettes, et soulève le fait que le projet de budget 2011 «ne comporte guère de mesures d’assainissement structurelles et ne prévoit pas de réformes d’envergure ayant un effet bénéfique sur la consolidation à long terme des finances publiques» et garde un optimisme prudent par rapport à ce dernier.
Sur base de récentes études réalisées par KPMG International, les expériences précédentes ont montré que les stratégies basées sur une réduction des dépenses publiques se sont avérées plus efficaces que celles focalisées sur des mesures fiscales, même si cette dernière reste une option à considérer face à la conjoncture actuelle. Toutefois, ces mesures à court terme sont insuffisantes pour faire face au recouvrement du déficit actuel. Un processus de re-engineering peut passer par des réformes pour continuer à améliorer la qualité et l’efficacité du domaine public.
L’introduction de ces changements structurels amène le secteur public à s’atteler à un défi majeur qui consiste à gagner le support des employés, des syndicats et des citoyens.
L’étude précitée, qui se base sur des entretiens avec 17 leaders du secteur public, propose une démarche en trois étapes pour améliorer et transformer le secteur public, indique Patrick Wies, associé chez KPMG, responsable de la ligne de service secteur public. A court terme, il faudra mettre en place des mesures qui permettent de réduire les dépenses. Il faudra ensuite améliorer la gestion financière et l’efficacité des services. A long terme, il s’agit de se focaliser sur les transformations stratégiques à mettre en œuvre.
La réduction des coûts peut passer par une rationalisation des frais de fonctionnement de l’Etat et une prorogation de projets d’investissement. Un certain nombre de pays a mis en place des mesures pour assainir leur budget, notamment en procédant à une allocation plus efficiente des dépenses et en coupant dans le budget.
Le secteur public est souvent critiqué pour sa complaisance financière. Un effort pour améliorer la gestion budgétaire en s’orientant vers une vision à long terme est primordial, faciliterait les décisions d’investissement et contribuerait à améliorer la productivité. Le développement d’une culture de maîtrise des dépenses implique une connaissance précise des coûts et repose sur la définition d’un modèle de gestion. Ceci pourrait passer par la mise en place d’un système de performances par objectifs mesurables. La France a introduit ce système en 2008, avec l’entrée en vigueur de la loi organique relative aux lois de finances avec pour objectifs une gestion plus démocratique et plus performante, au bénéfice de tous. Son budget a une architecture découpé en missions, programmes puis actions. Le recours aux solutions informatiques permettrait de faciliter la tâche. Par exemple, afin d’accroître l’efficience du système de santé, l’Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique ont renforcé les contrôles des dépenses de la sécurité sociale.
Le partage des ressources et des services permettrait d’améliorer la communication entre les différents services publics et le citoyen. Dans le cadre de son processus de simplification administrative, le Luxembourg a lancé et continue à améliorer un seul centre de données avec le guichet unique.
Dans le passé, le secteur public a attiré de nouveaux talents en offrant des avantages attrayants. Toutefois, avec la génération du baby boom, cette situation ne pourra pas se pérenniser dans le futur et des réformes sont envisageables. De ce fait, des pays tels la France, le Royaume-Uni, l’Allemagne et la Belgique ont pris des mesures en augmentant le taux de cotisation et en prolongeant l’âge minimum légal de pension. Ce projet de réforme est en cours de discussion au Luxembourg.
Un autre élément pour accroître l’efficacité repose sur une révision des motivations, en passant par une personnalisation de la force de travail. En effet, les employés doivent être considérés comme un élément important, créateur de richesse. Ainsi, les efforts doivent se porter sur la formation et la qualification des employés pour «attirer des futurs talents». De nombreux pays, tel l’Allemagne et la Belgique ont donné la priorité à l’éducation et la recherche. Le Luxembourg, quant à lui, continue les réformes universitaires et déploie des efforts considérables dans la recherche et le développement.
Pour assainir le budget, l’OCDE recommande de passer d’un système axé sur les ressources à un système axé sur les résultats.
Enfin, le recours à des conseillers externes permettrait aux équipes d’acquérir de nouvelles compétences et techniques dans le futur et ainsi contribuerait à un meilleur retour sur investissement.
Un changement radical requiert un changement au niveau des attentes du secteur public. Le succès d’une transformation stratégique repose entre les mains de décisionnaires leaders. Ces derniers contribuent au développement d’une stratégie de croissance, communiquent leurs objectifs et convainquent les citoyens.
La transformation stratégique consiste en un réexamen des priorités au niveau des dépenses, la recherche de nouvelles sources de financement, impliquant le secteur privé. Les organisations publiques réagissent en poursuivant des tactiques alternatives pour recueillir des fonds tel que des initiatives de financement privées, le recours à des systèmes de paiement par l’utilisateur, le partage des ressources, ainsi qu’une externalisation vers le secteur privé.
Patrick Wies, Associé KPMG Luxembourg