“Quand on mord la main … qui nous nourrit”

Les vols commis par les salariés dans leur propre entreprise sont en régulière augmentation  (voir par exemple les chiffres pour le commerce de détail sous www.retailresearch.org). Face à ce que beaucoup d’employeurs désigneront comme un fléau, il n’est pas inutile de rappeler les règles de conduite à adopter par l’employeur pour sanctionner efficacement ces comportements. S’agissant d’un sujet extrêmement sensible en entreprise, il convient d’appréhender le sujet de façon méthodique.

La première étape cruciale est bien évidemment la constatation du vol.
Sanctionner un salarié coupable d’un vol suppose un dossier solide faisant la preuve de l’existence du vol et de son imputabilité au salarié. De simples soupçons, des indices improbables ou des témoignages discutables n’autorisent pas le licenciement du salarié (CSJ dans un arrêt du 24 novembre 1994 n° 15497 du rôle).
Le cas de figure auquel l’on pense spontanément est celui du salarié pris sur le fait. Sauf à ce que l’intéressé soit dangereux, l’employeur peut l’interpeler, l’idéal étant alors d’être accompagné d’un témoin. L’employeur pourra ainsi le mettre en demeure de restituer le matériel volé. Si le salarié refuse, l’employeur devra alors solliciter l’intervention d’un officier de la police judiciaire.
Il arrive également que l’employeur se rende compte d’un vol de manière indirecte, en vérifiant sa comptabilité par exemple (différences de caisses …) ou encore en visionnant a posteriori des bandes de vidéosurveillance. Concernant ce dernier cas, l’employeur doit cependant savoir que la surveillance du salarié sur son lieu de travail est réglementée  (notamment sous l’article L. 261-1 du Code du travail). L’installation de caméras sur le lieu de travail doit être portée à la connaissance du salarié et suppose une autorisation préalable de la Commission nationale pour la protection des données, sous peine de sanctions pénales  (article L. 261-2 prévoit un emprisonnement de huit jours à un an et une amende de 251 à 125.000 euros).
Que se passe-t-il lorsque la vidéosurveillance est pratiquée en violation de ces obligations légales? Cette violation empêche-t-elle l’utilisation des vidéos comme moyen de preuve du vol par l’employeur? Il semblerait que non, comme en atteste cette affaire où un salarié avait été licencié pour avoir volé des cartouches de cigarettes et où l’employeur entendait prouver le vol par les constatations tirées par les policiers qui avaient pu visionner un enregistrement vidéo. La caméra avait été installée la veille du vol, non pas pour surveiller les salariés à proprement parler, mais pour surveiller le sous-sol des locaux de l’entreprise contre d’éventuels vols. La Cour n’a pas tenu compte des contestations du salarié quant à une atteinte à sa vie privée en jugeant que “l’enregistrement d’une partie du lieu de travail dans un endroit accessible à tout le personnel n’est certainement pas attentatoire à la vie privée d’un salarié”. Le licenciement avait donc été déclaré justifié  (CSJ du 9 février 2006, n°29897 du rôle).

Dans un deuxième temps, une fois que l’employeur est en mesure de prouver le vol, se pose la question des moyens d’action dont il dispose contre le salarié pour le sanctionner.
L’employeur peut notamment :
– déposer une plainte pénale,
– notifier à l’intéressé sa mise à pied conservatoire, qui pourra le cas échéant être suivie d’un licenciement pour faite grave,
– prononcer immédiatement le licenciement.
L’employeur n’est pas obligé d’attendre l’issue de l’enquête pénale, voire la condamnation pénale du salarié pour prononcer une mesure disciplinaire de type mise à pied ou licenciement.
Même si la grande majorité des vols dûment démontrés justifient le licenciement du salarié, la prudence s’impose tout de même car la jurisprudence fait parfois preuve d’une étonnante tolérance en la matière. Dans l’hypothèse d’une salariée ayant franchi les caisses du magasin d’un supermarché avec un sachet contenant de la marchandise non payée, il a été décidé qu’il y avait certainement eu une faute ou négligence de la salariée, qui aurait justifié un avertissement formel, mais que cette faute n’était pas assez grave pour justifier son licenciement. L’accent était mis sur la faible valeur de l’article et sur le fait que l’intention de ne pas payer l’article n’était pas forcément établie de sorte qu’il y aurait une disproportion à admettre dans ce cas le bien-fondé d’un licenciement (CA du 10 décembre 2009, n° 34548 du rôle).
L’attention de l’employeur doit aussi être portée sur ce “qu’il faut éviter de faire en pareil situation”:
– Procéder immédiatement  à une demande de démission ou transaction en intimidant le salarié
Confronté à un vol commis par un salarié, l’employeur peut être tenté d’intimider le coupable par la menace de porter plainte pour lui faire signer sur le champ une démission ou une transaction. Ce procédé peut s’avérer dangereux car le salarié pourrait vouloir remettre en cause l’écrit signé en faisant valoir que son consentement aurait été donné sous la pression de son employeur, ce qui pourrait justifier le cas échéant l’annulation de l’acte signé.
– Demander des aveux écrits du vol qui finalement ne remplissent pas les exigences légales
Certains employeurs exigent des aveux écrits du salarié pour s’en servir ensuite comme moyen de preuve du vol. Une attention particulière doit être portée à la rédaction de l’écrit. L’aveu n’a de réelle valeur que s’il porte sur des faits précis, il doit ainsi décrire avec précision l’objet du vol et les circonstances du vol.
– Procéder au remboursement des objets volés directement sur le bulletin de paie du salarié
Sauf accord exprès du salarié, l’employeur ne peut pas faire de retenue sur le salaire. L’employeur doit saisir le juge pour obtenir la condamnation du salarié au paiement de la valeur dérobée mais encore faut il que la responsabilité pécuniaire du salarié puisse être engagée. Celle-ci ne peut l’être qu’en cas de faute lourde de sa part, ce qui suppose la démonstration que le salarié ait eu l’intention de nuire à l’employeur.

 

Me Michel Schwartz

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