Lentement mais sûrement
Le nouveau texte déclinant une série de mécanismes pour lutter contre le changement climatique, adopté à Cancun par 200 pays à la fin décembre 2010, a peu fait parler de lui. «Remake» de Copenhague ou réelles avancées ? Nous avons demandé l’avis de Claude Wiseler, ministre du Développement durable et des Infrastructures, sur la question, et voulu savoir quelles sont les implications du texte sur la politique environnementale luxembourgeoise. Interview.
Lors d’une précédente interview en octobre 2009 à la veille de la Conférence de Copenhague, vous nous aviez confié que «l’avenir de la planète se jouera à Copenhague». Or, tout le monde s’accorde à dire que Copenhague a été un cuisant échec.
Le sommet de Cancun a-t-il à vos yeux réellement relancé l’espoir ou n’a-t-il que peut-être sauvé la crédibilité des négociations internationales organisées par l’ONU ainsi que l’affirment nombre d’analystes ?
Cancun a tout d’abord le mérite d’avoir réussi à restaurer la confiance envers le processus de négociation multilatéral. Il était en effet important d’en arriver à une série de décisions de la conférence des Parties à Cancun, si ce n’est pour clarifier que la convention-cadre des Nations Unies sur le changement climatique a toujours un rôle central à jouer. Dans les toutes premières semaines après Copenhague, ce rôle avait été fortement remis en question ; une répétition de ce scénario aurait eu des conséquences désastreuses.
Cancun a certainement relancé l’espoir : en adoptant une série de décisions, dont deux décisions importantes sur la période post-2012 – ce qu’elle n’avait pas réussi à faire douze mois plus tôt au Danemark lorsque la conférence des Parties avait simplement décidé de prendre note de l’accord de Copenhague, auquel seuls 140 des 194 Parties à la convention se sont associés -, la conférence des Parties a franchi une étape importante, même si beaucoup de travail reste à faire.
Les décisions les plus importantes ont été reportées au sommet de Durban en 2011, notamment la question clef concernant la réduction des émissions de CO2. N’avez-vous pas également l’impression que le monde se dirige vers une négociation perpétuelle ?
Même si l’Union européenne a toujours affiché l’objectif de voir les négociations aboutir à un accord juridiquement contraignant, ambitieux et à participation globale, il était entendu qu’un tel accord n’allait pas être conclu à Cancún. Il est même désormais probable qu’il n’y ait pas un seul évènement ou une seule conférence qui puisse dégager cet accord avec l’ensemble des dispositions détaillées pourtant essentielles pour sa mise en œuvre ultérieure. Je m’attends plutôt à ce qu’un tel accord émerge au bout d’un long processus de conférences. Partant de cette hypothèse, de cette approche «pas à pas», il est essentiel de matérialiser à chaque fois les progrès accomplis moyennant des décisions de la conférence des Parties.
Il est vrai que les décisions les plus importantes ont été reportées à cette année à Durban et au-delà, que le niveau d’ambition des objectifs et actions de réduction avancés reste insuffisant à ce stade et qu’il n’y a pas de garantie quant à la conclusion d’un accord juridiquement contraignant pour les parties n’ayant pas ratifié le protocole de Kyoto.
Cependant, Cancun a permis de concrétiser et d’opérationnaliser un certain nombre de dispositions de l’accord non contraignant de Copenhague.
Ainsi, pour ce qui est de la «vision commune» devant guider les efforts de toutes les Parties, la conférence a reconnu que les efforts de réduction des émissions devront être renforcés.
Un autre point important : il a été décidé que les dispositions relatives à la surveillance, la déclaration et la vérification des émissions allaient être améliorées. Cela vaut aussi pour l’assistance fournie aux pays en développement, que ce soit en matière d’assistance financière, technique qu’en matière de renforcement des capacités.
D’autres avancées notables ont été réalisées à Cancun. Tout d’abord, les Parties ont décidé de mettre en place un cadre pour l’adaptation afin d’améliorer la planification et la mise en œuvre des actions d’adaptation, en particulier dans les pays les plus pauvres et les plus vulnérables, notamment moyennant des plans nationaux d’adaptation.
Elles ont parallèlement décidé d’instaurer une assistance financière aux pays en développement, qui s’articule autour de trois axes. Le premier est l’engagement collectif des pays industrialisés de fournir 30 milliards de dollars durant la période 2010 à 2012 aux pays en développement avec une contribution de l’UE s’élevant à 2,4 milliards d’euros dont 9 millions proviendront du Luxembourg.
Le deuxième est le financement à long terme de la lutte contre le changement climatique dans ces mêmes pays, qui a été confirmé. Il s’agit d’une enveloppe de 100 milliards de dollars par an à partir de 2020.
Il a également été décidé de créer un « Green Climate Fund » pour appuyer les actions d’adaptation dans les pays en développement même si la question du financement devra encore être réglée.
Nous avons en outre mis sur pied le « technology mechanism » pour aider le développement et le transfert de technologie et reconnu la nécessité de limiter les émissions en provenance de la déforestation et de la dégradation des forêts dans les pays en développement par l’apport d’une aide financière et technique.
Les Verts prétendent que le gouvernement luxembourgeois aurait acheté des quotas de CO2 à l’Estonie pour un montant de 30 millions d’euros et par la même ouvert la brèche en la matière en Europe alors qu’il s’était engagé à ne pas le faire avant même la tenue de la Conférence de Copenhague. Toujours selon eux, vous seriez en faveur de l’instauration de ce système. Qu’en est-il réellement ?
En août 2010, les gouvernements de l’Estonie et du Grand-Duché de Luxembourg ont en effet signé un contrat d’échange de crédits d’émission de CO2. Par cette transaction, qui porte sur un volume total de 30 millions d’euros, le Luxembourg acquiert des crédits d’émission contribuant au respect des engagements auxquels il a souscrit dans le cadre du Protocole de Kyoto.
Cet échange s’effectue dans le cadre d’un «Green Investment Scheme – GIS» mis en place par l’Estonie. L’Estonie, qui a atteint son objectif de réduction «Kyoto», vend ainsi au Luxembourg une partie de son surplus de droits d’émission tout en s’engageant à utiliser les recettes de cette «transaction» pour le développement et la mise en œuvre de projets permettant de réduire les émissions de gaz à effet de serre.
Il est important de souligner que le Luxembourg n’est pas le seul pays acheteur de tels crédits d’émission de CO2. Le Japon, l’Espagne, la Belgique, les Pays-Bas, le Portugal, l’Irlande et l’Autriche l’ont d’ailleurs fait avant nous.
Je précise que cet échange s’inscrit dans le programme d’achat de droits d’émission de CO2 adopté en octobre 2009 par le gouvernement et permettant au Luxembourg d’atteindre son objectif de réduction de 28 pour cent des émissions de gaz à effet de serre par rapport à 1990 grâce à l’utilisation des mécanismes de flexibilité prévus par le protocole de Kyoto.
Dans les mesures de conseil et de sensibilisation inhérentes au deuxième plan d’action national de réduction des émissions de CO2, il est question d’un projet «Energy-Light» destiné à réduire la consommation électrique dans le secteur communal. Pouvez-vous nous donner des précisions à ce sujet ?
Le projet «Energy-Light» est une initiative du Ebl – Emweltberodung Lëtzebuerg – en collaboration avec «Klimabündnis Lëtzebuerg», qui vise à informer et sensibiliser le personnel au niveau communal sur les possibilités d’économie d’énergie dans les bâtiments communaux, et limiter ainsi non seulement les émissions de CO2 mais aussi les coûts énergétiques qui y sont liés. Il est en effet bien connu qu’à travers un comportement plus conscient et sans investissements notables ni pertes de confort, des économies d’énergie de l’ordre de 5 à 10 pour cent peuvent facilement être réalisées.
Dans le cadre de ce projet, des conseils, formations et actions de sensibilisation ont été offertes aux communes participantes tout en impliquant au maximum le personnel communal. Le département de l’environnement de mon ministère a d’ailleurs participé à cette initiative.
Dans l’absolu, je reste convaincu que l’information, la sensibilisation et le conseil, aussi bien en matière d’efficacité énergétique que pour ce qui est du recours aux sources d’énergie renouvelables, doivent être des composantes importantes de notre politique en matière de lutte contre le changement climatique.
Le projet MUSIC offre une plateforme d’échange à travers toute l’Europe pour les centres urbains qui sont intéressés à s’échanger et à transférer leurs connaissances en matière de concepts d’énergie durable et de réduction des émissions de CO2. Selon vous, la collaboration intercommunale à l’international est-elle une des clés principales dans la démarche de réduction des émissions de CO2 ?
Malheureusement, nous ne disposons pas informations détaillées relatives à ce projet. Les partenaires de ce projet sont les villes de Rotterdam, de Gand, de Montreuil, d’Aberdeen, de Ludwigsburg ainsi que les deux instituts de recherche DRIFT, le «Dutch Research Institute for Transitions» et le CRP Henri Tudor.
Pour ce qui est de la lutte contre le changement climatique, les communes ont un rôle important à jouer. C’est pourquoi le Syvicol est un des cinq partenaires du «partenariat pour l’environnement et le climat», et l’élaboration du pacte de collaboration avec les communes constituera une des pièces maîtresses de ce partenariat.