Prévenir plutôt que guérir

La nouvelle législature amène aussi son lot de réformes dans le domaine de la santé. Le fil rouge, l’accès à des soins de qualité pour tous. Des économies sont cependant au programme ainsi que l’interdiction de fumer dans tous les lieux publics. Le point avec Mars di Bartolomeo, ministre de la Santé et de la Sécurité sociale.

Les dépenses de santé par habitant au Luxembourg sont les plus élevées au monde, relève l’OMS. Ne faut-il pas rationaliser ces dépenses, tout spécialement en temps de crise, et si oui, comment ?

Les dépenses de santé dans notre pays sont effectivement élevées. Les principes mêmes de notre système de santé ont notamment pour cela fait l’objet d’un nouveau programme gouvernemental pour la législature 2009-2014. Le fil rouge est l’accès à des soins de qualité sans distinction de revenus. Cela peut paraître évident, mais c’est loin d’être le cas dans tous les pays. Beaucoup de pays, entre autres des pays européens, vont vers moins de solidarité et plus de privatisation, d’autres cherchent à évoluer vers ces valeurs de solidarité comme les Etats-Unis. Aussi, malgré la crise, je pense qu’il très important de réaffirmer que nous ne voulons pas réaliser de coupures budgétaires dans un domaine aussi important que celui de la santé. Cela dit, nous nous devons d’épargner là où il y a gaspillage.

«Gaspillage» : pouvez-vous préciser ?

« Gaspillage» n’est peut-être pas le terme le plus approprié. Je dirais plutôt qu’il y a parfois une mauvaise utilisation des moyens en matière de santé comme la redondance, la surconsommation et un manque d’efficience dans certains domaines. Nous devons aller vers plus de transparence, d’efficacité, une qualité non pas seulement ressentie mais documentée, bref une meilleure utilisation des ressources possible pour mieux soigner en dépensant mieux. Il y a par exemple pour l’instant une explosion des analyses laboratoire ; pour éviter cela, il faut veiller à ce que les données disponibles soient accessibles de sorte que les patients ne refassent pas éternellement les mêmes analyses de base. Comme en France, il y a surconsommation d’antibiotiques et de psychotropes. Il y a également mauvaise utilisation du médicament. J’entends par là, par exemple, le recours abusif à l’intraveineux dans les hôpitaux, très cher et compliqué, et ce, au détriment de l’administration orale beaucoup moins onéreuse et tout aussi indiquée. Trop souvent aussi, l’on a recours à des médicaments trop chers alors qu’il existe aujourd’hui beaucoup de génériques ou tout simplement des médicaments moins chers. Pour finir, toujours dans les hôpitaux, il y a trop d’offres similaires et trop peu de spécialisations.

A propos des génériques, justement, aucune progression n’est à noter sur le marché luxembourgeois y compris dans les pharmacies des hôpitaux, alors que leur délivrance permettrait de réaliser des économies substantielles. Pourquoi ne pas généraliser leur délivrance comme dans de nombreux pays européens ?

Ce point fait partie de l’approche générale de la réforme de l’assurance santé lancée fin 2009 dans une quadripartite réunissant tous les acteurs de la santé. Le système de santé luxembourgeois, comme d’autres, doit faire face à des déficits à partir de 2010. Il nous faut donc trouver de nouvelles pistes comme, effectivement, recourir davantage à des médicaments moins onéreux dont les licences sont périmées et dont font partie les génériques. Nous avons fait des efforts au départ, il y a quelques années, pour promouvoir les génériques et les médicaments meilleur marché ; il faut se méfier des seules statistiques brutes affirmant qu’il y a sous-utilisation des génériques au Grand-Duché, même si cela peut sembler être le cas à première vue. Parallèlement à ce qui s’est fait en Belgique, nous avons entamé une démarche non seulement de promotion du générique, mais orientée vers une valeur thérapeutique égale donnant la préférence au médicament le moins cher. L’image est donc un peu différente de celle qui ressort des statistiques, les médicaments moins chers n’étant pas forcément des génériques. Nous devons adopter la même démarche réglementaire avec les hôpitaux et les pharmacies qui devront prescrire par molécule et non par marque. Last but not least, sensibiliser le grand public. En nous inspirant des modèles de nos voisins européens, nous allons donc renforcer la législation, la réglementation et effectuer des modifications statutaires dans le domaine. Notre système de santé n’a pas pour vocation de faire plaisir à l’industrie pharmaceutique.

En quoi consiste ce nouveau programme de santé gouvernemental que vous évoquiez ?

Nous nous sommes engagés dans une démarche non seulement curative mais de promotion et de maintien de la santé, une priorité depuis le début des années 2000. Nous avons réussi à faire de ce nouveau pilier un projet de société qui n’est pas seulement du ressort des services de santé mais devenu un thème transversal avec d’autres ministères, à savoir notamment celui de l’éducation nationale, de la famille, de l’agriculture, de l’environnement où des thèmes prioritaires de santé publique se retrouvent au cœur de la politique de ceux-ci. A titre d’exemple, la plate-forme commune «manger mieux, bouger plus». Nous sommes également en partenariat avec les communes, la société civile ou encore de nombreuses associations médicales dans le cadre de cette plate-forme.
Notre objectif chiffré est de réduire les dépenses de santé de l’ordre de 5% sans pour autant couper les prestations.?Les coûts de santé seront parmi ceux qui progresseront le plus dans les années à venir. Bien que les gens soient de plus en plus attentifs à leur santé, il n’empêche que la tendance reste à la médecine curative : la médecine s’apparente encore trop à un atelier de réparation. Parallèlement, on ne cesse de faire des progrès dans le domaine biomédical, des progrès certes fantastiques, mais avec comme corollaire des coûts en très forte augmentation. Aussi, nous devons désormais nous focaliser sur la médecine dite préventive et combattre les maladies prévisibles dues à des comportements dangereux comme la consommation de tabac, l’abus d’alcool ou encore les mauvais comportements alimentaires. Des maladies comme le diabète de type 2 et beaucoup de cancers sont ainsi évitables dans la majorité des cas. Nous nous réorientons vers une approche proactive par une politique transversale, comme je vous le disais, qui démarre dès l’âge de la scolarisation. C’est là que réside le plus gros potentiel d’économies.

A ce propos, qu’en est-il de la guerre que vous menez contre le tabac ?Suivra-t-on l’exemple de l’Italie et de la France où il est aujourd’hui interdit de fumer dans les bars et les discothèques ?

Pour rappel, nous avons promulgué une loi en 2005 interdisant la consommation de tabac dans les restaurants et les grandes surfaces. Il reste effectivement les bar-cafés et les discothèques, mais j’ai la ferme intention de remédier à la situation et d’interdire la consommation de tabac dans tous les lieux publics. Nous sommes pour cela en train d’évaluer la loi de 2005.
Le tabac est un très bon exemple dans la mesure où il stigmatise parfaitement l’évolution des comportements dans nos sociétés… comme quoi la prévention porte ses fruits. Nous devons éradiquer ce que j’appelle les «maux de civilisation», et en ce qui concerne le tabac, il sera dans quelques décennies plus qu’un lointain souvenir. Nous n’avons pas d’autre choix si nous ne voulons pas que les coûts de santé explosent.

La médecine serait en passe de réaliser un pas de géant avec le développement de la médecine dite personnalisée. Qu’en pensez-vous ?

Je pense que la médecine personnalisée marque un progrès considérable, mais elle présente également des risques. Il faut rester vigilent et s’assurer qu’elle soit bien utilisée, c’est-à-dire qu’on y ait recours que lorsque le mal se déclare et non pas faire de gens sains des malades potentiels. Plus concrètement, si connaître exactement la nature de la maladie grâce à des analyses poussées pour la combattre efficacement est effectivement une avancée formidable, il ne faudrait pas que l’on se dirige vers une administration automatique de médicaments pour prévenir des maladies potentielles. Et si la mise de fond pour ces analyses avancées, au départ, est très importante, les perspectives d’économies à moyen et long termes sont très intéressantes. Cependant, au risque de me répéter, le plus grand potentiel d’économies réside néanmoins incontestablement dans la médecine préventive.
PhR

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