Un nouveau mode de ville

Concurrence accrue oblige dans un monde de plus en plus globalisé, les villes n’ont d’autre choix que de se réinventer si elles veulent attirer de nouvelles populations de plus en plus soucieuses de leur confort. Parallèlement, elles doivent faire face à une rationalisation des coûts et intégrer une nouvelle donne désormais incontournable, l’environnement. La bonne nouvelle, l’évolution des technologies qui leur permettent de collecter une foule d’informations utiles pour optimiser leur fonctionnement… à condition d’avoir recours aux bons outils. Interview de Dr. Colin Harrison, directeur du programme «Smarter Cities» d’IBM dans le monde.

Comment est née l’aventure «Smarter Planet» ?

Les grandes idées ont toujours différentes origines. Celles de «Smarter Planet» puis de «Smarter Cities» remontent à une étude que j’ai menée en 2008 sur base d’un système en pleine évolution dans le domaine des technologies propres. Il s’agissait là de systèmes de gestion de l’énergie, de l’eau, de la circulation, … ??J’ai désiré mener cette étude car il m’avait semblé qu’il y avait beaucoup de similitudes entre ces systèmes d’un point de vue informatique. Nous avions également constaté qu’il y a déjà énormément d’informations à disposition dans le monde sur ce qu’il se passe dans les grandes villes en temps réel, et qu’on pouvait par conséquent déjà utiliser ces informations pour modéliser les villes, les systèmes d’opération des villes et les utiliser pour d’autres applications telles que la finance, le commerce, l’éducation. Une ville est tout simplement une synthèse de nombreux systèmes d’opération.

Comment est-on passé de «Smarter Planet» à «Smarter Cities» ?

C’est une expérience que j’ai conduite il y a deux ans dans l’émirat d’Abu Dhabi qui nous a conduits au concept de «Smarter Cities», le projet Masdar. Masdar est une future éco-ville «zéro émission» qui repose sur les énergies renouvelables, le recyclage de l’eau et la plupart des ordures solides. On avait fait appel à nous pour la réalisation de certains systèmes informatiques, et pour la première fois, nous avons durant l’étude considéré les systèmes informatiques de la ville dans leur ensemble et non plus séparément. Nous nous sommes dits qu’il serait judicieux de partager à la fois l’informatique et relier les informations diverses mais complémentaires comme celles relatives à la circulation et aux travaux en cours.
Dès lors, il y a moyen non seulement d’optimiser un système d’informations mais l’ensemble des systèmes. L’objectif ultime de «Smarter Cities» est de capter un maximum d’informations en temps réel et d’appliquer des méthodes d’analyse pour optimiser le fonctionnement des villes.
Les villes sont des constructions extrêmement compliquées, non pas d’un point de vue holistique. C’est cette dernière conception à laquelle s’intéresser, qui exige une analyse «multi-perspectives».

Pouvez-vous préciser ?

Un exemple tout simple : si un trou est en formation dans la chaussée, ce sont une multitude d’acteurs qui sont concernés et qui doivent coordonner leurs efforts pour trouver une solution adéquate au problème le plus rapidement et le plus efficacement possible. C’est là que nous intervenons.
Nous réalisons des modèles susceptibles de représenter la complexité des systèmes dans les villes. Une méthode connue dans l’urbanisme se distingue des autres, la «dynamique des systèmes» (1). Inventée il y a une cinquantaine d’années, elle repose sur la synthèse des millions de lignes d’interaction existant dans les agglomérations.
Ce qui est important pour la gestion opérationnelle d’une ville, c’est d’être capable de voir ce qu’il s’y passe en temps réel, d’autant plus qu’aujourd’hui, les citoyens sont de plus en plus équipés en technologie et les interconnexions sont dès lors sans cesse grandissantes. IBM se base sur le principe des 3 I dans sa stratégie «Smarter Planet» : «Instrumentation» (l’existence de milliards de capteurs), «Interconnexion» (les réseaux des données numériques, les interactions entre les gens et les gens et la ville, l’évolution de l’informatique vers des systèmes ouverts) et «Intelligence» (l’analyse de toutes les données). Ce concept s’applique partout.

Plus concrètement, quels sont les bénéfices qu’apportent ces solutions aux municipalités et aux citadins dans leur vie au quotidien ?

Nous avons entamé une collaboration avec le KTH Royal Institute en Suède pour permettre aux autorités et aux habitants de Stockholm de gérer et d’utiliser les transports de façon plus intelligente.
(1) http://en.wikipedia.org/wiki/System_dynamics
Les chercheurs du KTH Royal Institute of Technology utilisent la technologie IBM de «streaming analytics» pour recueillir l’information en temps réel à partir des systèmes GPS de près de 1.500 taxis de la ville, et prochainement grâce aux données provenant des camions de livraison, des capteurs de trafic et de pollution, des systèmes de transport et des informations météorologiques. Les données sont traitées par le logiciel d’IBM «InfoSphere Streams », système pionnier en matière de «streaming analytics», qui permet à la ville et à ses habitants de recevoir des informations en temps réel sur les flux de circulation, les temps et les meilleures options de déplacement.
Les utilisateurs peuvent par exemple envoyer un texto en précisant leur lieu de départ et leur destination. Grâce à cette technologie, les informations sur la circulation, les transports ferrés et la météo sont analysées et le système fournit les temps de déplacement prévus en voiture et en transports publics. Les utilisateurs obtiennent ainsi une vue instantanée et précise sur le moyen le plus rapide pour se rendre à leur destination.
Ces dernières années, IBM a travaillé avec la capitale suédoise pour gérer les flux de circulation durant les heures de pointe. Le système de gestion du trafic mis en oeuvre a permis de réduire la circulation de 20%, et les temps de déplacement de près de 50%.
Les villes ont des idées, affichent de la bonne volonté mais ont du mal à passer au stade concret. A nous de jouer le rôle de catalyseurs, de stimulateurs. Sachez que nous travaillons en étroite collaboration avec les urbanistes… et toujours plus, d’ailleurs.
Chaque ville a ses propres problématiques, et je pense que la meilleure façon de procéder est de fonctionner par priorités en s’attaquant au problème majeur. Les villes doivent pouvoir maîtriser leurs coûts. Si on ne fait rien de manière structurée et intelligente, il ne resterait plus qu’à augmenter les impôts locaux. Or, il est beaucoup plus intéressant d’optimiser le fonctionnement interne de la ville : cela permet d’une part de dégager des marges bénéficiaires et ainsi d’éviter d’augmenter les impôts, d’autre part d’améliorer la qualité de vie de ses habitants comme à travers l’exemple de Stockholm. Pour finir, elles doivent être en mesure de détecter dans les minutes tout problème environnemental susceptible de se produire.

… cela paraît donc même incontournable…

Très certainement. Dans un contexte de plus en plus globalisé, les villes se battent pour attirer de nouveaux résidents. Elles doivent donc logiquement rivaliser d’ingéniosité pour se rendre plus attrayantes que les autres. Parallèlement, elles n’ont plus les mêmes budgets pour investir dans de nouveaux projets. ??L’exemple de Stockholm démontre que les villes s’ouvrent de plus en plus aux citoyens qui deviennent également des acteurs à part entière. C’est un facteur qu’elles doivent absolument prendre en considération puisque ce sont précisément les populations jeunes qui manifestent le plus l’envie d’habiter en ville.

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