Un indicateur pour une politique de développement durable

Si l’ensemble des pays vivait comme nous le faisons au Luxembourg, il faudrait les ressources naturelles de six planètes pour satisfaire tout le monde. L’étude sur l’empreinte écologique menée par le Conseil supérieur pour un développement durable révèle que le modèle luxembourgeois est non-durable et qu’il ne respecte pas l’équité mondiale en s’accaparant les ressources naturelles disponibles. Interview de Mike Mathias, membre du CSDD en charge de cette étude.

Quels chiffres “choc” ressortent de cette étude?

La principale donnée à retenir est que le Luxembourg, pour alimenter son économie et son style de vie, a besoin des ressources naturelles de six planètes. Ce chiffre doit être rapporté à la biocapacité par être humain: nous avons besoin de 11,83 ha par habitant alors que la moyenne mondiale est de 2,6 ha. Même si c’est un petit pays, le Luxembourg a des ressources, mais il les dépasse largement en termes de consommation…

Vous distinguez la consommation des résidents et celle des frontaliers…

Le calcul de l’empreinte écologique se base sur des statistiques de commerce international. Ce qui est vendu au détail est considéré comme une consommation locale. Le Luxembourg a cette spécificité que les frontaliers et le tourisme à la pompe comptent pour une grande partie dans la consommation. Nous n’avons pas voulu les extraire, mais les identifier. Il en ressort que les résidents sont responsables de 22% de la consommation de carburant, les frontaliers de 15%, le transit de 56% et les habitants de la Grande Région qui ne travaillent pas au Luxembourg de 7%; 18% de la consommation des produits alimentaires, des biens et des services sont attribuables aux frontaliers.
62% de l’empreinte globale revient aux résidents, 16 % aux frontaliers et 22% aux personnes en transit. Cela ne signifie pas que les frontaliers ont une empreinte 4 fois moins importante que celle des Luxembourgeois. Ce chiffre représente la part de la consommation qu’ils exercent au Luxembourg, qui s’ajoute à celle qu’ils exercent dans leurs pays.
L’empreinte des résidents dépasse de plus de 3 fois ce qui est équitable par rapport aux ressources globalement disponibles. Le Luxembourg a un double déficit: un système économique et des résidents qui dépassent largement la biocapacité de la planète.

Quel est le but de cette étude? Conscientiser les citoyens?

L’empreinte écologique prend en considération ce qui est consommé, sans tenir compte des énergies grises contenues dans les produits que nous importons. L’inconvénient d’une telle approche est que la responsabilité serait uniquement du côté du consommateur, ce qui n’est évidemment pas juste. Le consommateur peut adapter son comportement, mais cette démarche a des limites. Les infrastructures sanitaires et de mobilité, par exemple, ont une empreinte écologique, que nous ne maîtrisons pas en tant qu’individus.
Notre objectif est surtout de donner un outil vraiment parlant à des multiplicateurs, qu’il s’agisse d’ONG ou d’autorités locales, pour sensibiliser la population. Il est tout à fait imaginable que l’empreinte écologique devienne un indicateur pour une politique de développement durable.

Y a-t-il une réelle volonté politique de faire bouger les choses selon vous?

Elle existe, mais elle est insuffisante. D’abord parce qu’elle est tributaire de l’opinion publique. Les ministres du Développement durable et de l’Environnement sont très intéressés par l’empreinte écologique car elle est non seulement un outil comptable pour calculer notre déficit ou notre excédent et pour mesurer l’impact des différentes mesures, mais aussi un outil de communication.
Nous pourrions, au Luxembourg, mener notre propre politique, même dans un contexte de directives européennes. Nos revenus nationaux reposent aujourd’hui en grande partie de l’importation de carburant, ce qui n’est pas viable et dangereux pour l’équilibre du budget. Nous pourrions, par exemple, miser un maximum sur la réduction de la consommation au lieu de miser sur le remplacement du carburant fossile par du biocarburant. Nous ne ferions alors que reporter sur le sol la pression que nous mettons sur l’atmosphère, avec une incidence énorme sur la biodiversité et sur l’alimentation d’une partie de la population mondiale. Clairement, cela reviendrait à prendre les ressources nécessaires à d’autres gens sur la planète pour assouvir leur besoin vital de se nourrir. Autre exemple qui relève de notre politique européenne en matière de pêche: le fait que les petits pêcheurs de la pointe somalienne se reconvertissent dans le piratage des bateaux de marchandise parce qu’ils ont perdu leur gagne-pain à cause de la pêche industrielle. Il faut savoir que la pêche artisanale et la pêche industrielle pêchent la même quantité de poisson, mais 12 millions de gens travaillent dans la pêche artisanale alors que la pêche industrielle n’en emploie qu’un demi-million.

Quelle est l’incidence des revenus sur l’empreinte écologique?

L’empreinte des pays pauvres est de loin inférieure à celle des pays riches, ce qui se traduit également à l’intérieur des pays: le décile inférieur des revenus a une empreinte moins importante que celle du décile supérieur. Une étude canadienne a montré qu’au Canada, l’empreinte de la mobilité augmente de huit fois entre les déciles inférieur et supérieur. Il y a là encore un défi politique: on ne peut pas simplement demander à ces gens de réduire leur empreinte, mais également mener des politiques de rééquilibrage qui permettent à chacun de mener un train de vie moins acharné envers les ressources naturelles.
MT

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