Une approche plus pragmatique

Décrochage scolaire alarmant, exigences professionnelles accrues, il devenait urgent de réformer le système de la formation professionnelle comme nous l’a confirmé Nic Alff, directeur à la formation professionnelle, qui prône une approche beaucoup plus pragmatique. Interview.

Début mars, Mady Delvaux-Stehres, ministre de l’Education nationale et de la Formation professionnelle, a présenté les grands principes de la réforme de la formation professionnelle. Quelles en sont les grandes lignes ?

Il y en a plusieurs. Il s’agissait d’abord d’adapter à la réalité de nos jours un système éducatif qui remonte à 1945, le monde économique ayant profondément changé depuis. Nous nous devions surtout de renforcer les liens entre la formation en milieu scolaire et la formation en milieu professionnel. Il s’agit d’augmenter le nombre de jeunes gens qualifiés issus de la formation professionnelle de même que la qualité de la formation professionnelle. Notre système connaît malheureusement année après année beaucoup d’échecs que nous dévons réduire tant que faire ce peut.
Nous devons également créer un système cohérent d’apprentissage tout au long de la vie.
Comment y parvenir ? Par l’enseignement par compétences et par un système modulaire. Dans ce système, chaque formation est structurée en unités capitalisables qui correspondent à des qualifications partielles. En d’autres termes, ce sont des unités directement liées à un acte professionnel subdivisées en modules. Cette organisation modulaire permet de créer des passerelles entre formations. Aussi, dans l’enseignement professionnel, les branches sont supprimées au profit de l’enseignement cohérent par modules qui représentent des mises en situation professionnelle concrètes. ??De même, – et je pense que c’est là un des points cruciaux de la réforme – si un apprenti échoue dans un nombre réduit de modules, il peut les rattraper en cours de formation, ce qui évite les redoublements. Car aujourd’hui, un jeune qui échoue dans une seule branche doit refaire toute l’année.
L’examen de fin d’étude a été aboli et remplacé par des projets intégrés. Ceux-ci, eux aussi, reflètent véritablement la vie professionnelle de tous les jours. Le premier projet intégré est un projet intermédiaire à mi-parcours de la formation tandis que le deuxième, bien sûr, un projet de fin de parcours.
Lorsque nous avons élaboré la nouvelle loi, nous avions toujours l’intention de garder notre cotation à 60 points. Nous nous sommes cependant rendus compte que cela n’avait plus de sens, et nous avons opté pour un ‘référentiel d’évaluation’. Ce dernier reprend les compétences du programme directeur, chacune d’entre elles étant dotée d’un ou plusieurs indicateurs qui sont des variables permettant d’apprécier le niveau du candidat. On définit parallèlement un socle à atteindre.

Qu’entend-on exactement par «compétences» ?

Il y a de nombreuses définitions. Je dirais que c’est un ensemble organisé de connaissances, d’aptitudes et d’attitudes qu’il faut détenir pour exercer une profession ou un métier. Quelqu’un de compétent est quelqu’un qui sait transmettre son savoir dans une situation réelle. J’estime que bon nombre de gens possèdent un certain savoir mais ne sont pas compétents tandis que des gens compétents ont forcément du savoir. Or jusqu’ici, l’école s’est trop axée sur le savoir. Je reste persuadé que nos jeunes ont beaucoup de savoir mais ont du mal à le convertir dans la pratique. C’est tout le défi de l’école de demain.
On part d’une situation professionnelle bien déterminée, d’une problématique, ce qui permet à l’élève de comprendre pourquoi il doit acquérir telle ou telle connaissance. C’est bien plus «productif» que de lui inculquer des notions sans connaissance de cause. Un électricien qui, dans le cadre d’un cours de calcul professionnel, doit apprendre le théorème de Pythagore, n’en verra peut-être pas l’intérêt, tandis que s’il doit l’apprendre pour compléter un acte professionnel, son intérêt sera un tout autre. C’est donc très intéressant d’un point de vue pédagogique.

Comment se passe la collaboration avec les entreprises, les chambres professionnelles et les autres acteurs concernés ?

Nous élaborons désormais les programmes systématiquement de concert avec nos partenaires des chambres professionnelles. Les experts des entreprises établissent un profil professionnel qui décrit les activités et les tâches qui incomberont aux jeunes au sein de l’entreprise. S’ensuit l’élaboration d’un profil de formation dans lequel les activités et les tâches à réaliser sont transcrites en compétences, profil de formation qui débouche sur la mise au point d’un programme directeur, et cela maintenant pour toute formation. Pour finir, on établit le programme de formation.
Pour la mise en œuvre de la réforme, nous travaillons en étroite collaboration avec deux instituts renommés qui sont le BIBB, le Bundesinstitut für Berufsbildung et l’université de Saint-Gall.

Quel sera le calendrier pour la mise en vigueur de la réforme ?

Nous avons eu un certain retard dans l’élaboration des différentes étapes du profil professionnel au programme de formation. Nous allons démarrer cette année scolaire avec dix-neuf formations phares et la centaine de formations restantes l’année scolaire prochaine.

En ce qui concerne la formation liée à l’emploi que les individus suivent en dehors du cadre institutionnel pendant une carrière professionnelle type, le Luxembourg est un des plus mauvais élèves des pays de l’OCDE, selon un rapport de l’organisation. Comment cela s’explique-t-il et quelles sont les pistes de réflexion sur la question ?

Je me méfie toujours des statistiques. Si l’on se réfère à d’autres statistiques, le tableau est nettement moins sombre. D’après le Cedefop (1), qui réalise de nombreuses enquêtes en Europe dans le domaine, le Luxembourg a fait de gros efforts depuis 1999, et se retrouve à la deuxième place quant au nombre de participants à des cours de formation professionnelle continue depuis 2005. Une deuxième enquête portant sur les entreprises dispensant des cours de formation professionnelle continue révèle que le Luxembourg se situe dans la première moitié européenne. Bien évidemment, tout système de formation continue est perfectible.
Nous avons donc réalisé de gros efforts, ces dernières années, pour promouvoir la formation professionnelle. Nous avons par exemple voté une loi en 1999 sur l’accès collectif qui octroie un cofinancement de l’Etat aux entreprises proposant de la formation professionnelle à ses salariés. Ce sont ainsi en 2010 pas moins de 30 millions d’euros qui ont été alloués aux entreprises contre 11 millions en 2000, auxquels s’ajoute le congé sans solde pour formation depuis 2006. D’autres mesures ont encore vu le jour comme la possibilité d’aménagement personnel du temps de travail, le e-bac, le congé linguistique ainsi que le congé individuel de formation.

La crise peut-elle représenter un nouveau frein à la formation professionnelle en entreprise comme prétendent certains, économies obligent ?

Je nourrissais les mêmes craintes, mais heureusement, le contraire s’est produit. Il n’y a jamais eu autant de demandes pour des postes d’apprentissage, et ce, dans beaucoup de domaines. Il y a mon avis plusieurs raisons à cela, indépendantes du facteur crise ou pas. Tout d’abord, le mérite des chambres professionnelles qui font beaucoup de promotion pour la formation professionnelle, ce qui a pour corollaire de créer une véritable prise de conscience aussi bien de la part des entreprises que des individus. La formation professionnelle entre lentement mais sûrement dans les mœurs.

Quels sont les nouveaux défis et les nouvelles exigences en matière de formation professionnelle qui se posent dans une société qui évolue de plus en plus rapidement ?

D’après des études récentes, nous aurons à l’avenir de plus en plus besoin de gens moyennement et hautement qualifiés en Europe. C’est d’autant plus vrai au Luxembourg dans une économie à très haute valeur ajoutée. Les emplois pour les jeunes en décrochage scolaire sont de plus en plus rares. Nous devons donc redoubler d’efforts pour les rendre employables, ce qui n’est possible que via des cours de formation professionnelle continue.
Pour conclure, j’aimerais vous faire part d’une citation anglaise de source inconnue, laquelle j’estime essentielle pour toute réforme :
« You can’t do today’s jobs with yesterday’s methods and be in business tomorrow ».
PhR
(1) Centre européen pour le développement de la formation continue professionnelle

Lire sur le même sujet: